Vases communicants aujourd’hui avec Josée Marcotte. Grand plaisir à  suivre non seulement les tribulations maniacofictives de Marge qui ont déjà  fait l’objet d’un ouvrage numérique chez publie.net, mais aussi ses Mémoires d’outre-songe, blog sur lequel elle m’accueille aujourd’hui. Après lecture d’un de ses textes intitulé "le signifiant" qu’est venue l’idée de proposer à  Josée d’écrire chacun de notre cà ´té de l’Atlantique sur la langue, ce qui en elle nous lie au passé et aux territoires qu’on porte. Et rendez-vous est déjà  pris en janvier pour poursuivre le dialogue...
Langue de bœuf
Au moment où j՚écris ces quelques mots, ma grand-mère paternelle est à  l՚hà ´pital et n՚avale plus rien depuis une dizaine de jours. Une question de temps. Avant qu՚elle ne rejoigne grand-père. On lui humecte les lèvres à  l՚aide d՚un coton-tige, un peu. Et la langue.
C՚est elle qui m՚a fait manger de la langue. à ‰pouse d՚un cultivateur et cuisinière d՚une soupe légendaire, elle m՚a fait avaler de la langue avant mà ªme que je sache ce que c՚était. Et c՚était bon. J՚avalais et j՚aimais, avant mà ªme de savoir que c՚était une langue. Une langue de bœuf. Et c՚était bon.
Quand on partagea le Secret avec moi, vers mes cinq ou six ans, je pense, je ne sais plus, le mal était déjà  fait (ou le bien, ou plutà ´t les deux). Le mot ne changea strictement rien au goà  »t. C՚était mou, c՚était filandreux. Et c՚était bon. La langue de lÕšanimal sur la mienne, je mordais et remà ¢chais lÕšorgane sacrifié. Point de mystère. Accessible. Comestible. Dorénavant en moi. Chutant dans mon estomac. C՚était une viande comme une autre. Une parole des sept tonnerres comme une autre. Et c՚était bon.
La désacralisation de la langue et du langage se fit en bas à ¢ge. Accompagnée d՚un plaisir immense du palais et de la langue, dans tous les sens du terme. Pourquoi me limiter à  cette partie du corps ? J՚avalai du cœur de chevreuil et du foie de lapin… Seul l՚Homme m՚était défendu. J՚étais non pas l՚avalée des avalées (à §a, c՚était plus tard), mais l՚avaleuse des avaleuses. Et c՚était bon.
La langue de l՚animal était en moi. Digérée. Combinée à  ma chair. Et je commenà §ai à  créer des mots farfelus, me croyant investie d՚un pouvoir. Toute ivresse pousse à  l՚invention. L՚aventure débuta dans la bouche. Et c՚était bon. Le langage était mou, était filandreux. Mon tissu à  remà ¢cher.
Aimer, cÕšest aussi inventer.
Mamie, jÕšaime encore la langue, mais je nÕšen mange plus.
Parce que je ne sais pas la cuisiner comme toi.
T՚aimer, c՚est aussi t՚inventer. Je continuerai à  t՚inventer. Au revoir.
Josée Marcotte, le 31 octobre 2011.
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