croiser au supermarché une connaissance perdue de vue depuis des années, croisée dans ce même lieu de temps à  autre, croire qu’on s’en tirera d’un bonjour lointain, protégé par la file d’attente à  la caisse, que suffiront le prénom retrouvé et un signe de la main, comprendre qu’on vous attend, chariot enfin vidé sur le tapis s’avancer, s’embrasser et faire le décompte des années depuis la dernière fois, interrompus par la caissière qui s’enquiert de la possession ou non d’une carte de fidélité, reprendre le fil fragile de la conversation, avec ce léger malaise que procure la distorsion dans la perception du temps, soi avoir l’impression d’une éternité, s’entendre dire qu’il y a seulement trois ou quatre ans, tout en déposant les premiers articles dans le chariot, enchaîner sur la question de la retraite prise ou à  prendre, du peu touché pour qui comme elle doit subir forte décote à  quelques années près — le temps, toujours lui, qui ne se cale pas comme on voudrait —, évoquer les enfants, ils étaient encore si petits quand elle les a vus — le temps ne lâche rien —, sortir du supermarché, stopper près du parking pour vélos et scooters, sous une sorte d’allée couverte, de nouveau l’écouter parler de ses multiples problèmes de santé, des restrictions alimentaires et de la débandade de l’hôpital public, enchaîner sur les sites pour trouver compagnie avec qui sortir en ville, aller danser — il existe un ponton près du fleuve où une sorte de guinguette — et des déceptions, à  peu d’exceptions près, qu’engendrent ce genre de rencontres, sentir après cette aveu de solitude que la conversation ne trouve plus d’aliments, l’assurer qu’il ne faut pas hésiter à  passer, à  téléphoner, adresse et téléphone sont toujours les mêmes, comme avant, interroger le ciel gris — la guinguette est en plein air et on est samedi —, s’embrasser, partir vers la voiture, et quand se retourner chercher quelques instants sa silhouette, sans la trouver — engloutie par la ville
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