bienvenue dans l’atelier
apercevoir sur le trottoir, posé en évidence sur le dessus d’une poubelle, un carton avec dedans deux poupées à grosses tàªtes rondes
s’interrompre dans son travail parce que le téléphone sonne, descendre au rez-de-chaussée, avec appréhension, voire pointe d’angoisse — parce que laisser sonner si aucune incertitude ou inquiétude quant aux proches, mais c’est devenu si rare — décrocher et subir un temps de silence ou de brouhaha — le second est préférable, il n’est gros de rien — puis la voix qui[...]
se rendre dans le magasin d’une coopérative agricole en quête de bois d’allumage pour la cheminée, chercher au petit bonheur, passer par le rayon des aliments pour volailles, sacs de cinquante kilos posés sur palettes, retrouver l’odeur des granulés à lapins, la même que gosse, quand soulever le couvercle métal d’une lessiveuse et plonger une vieille boîte de[...]
ne pas se souvenir d’un rêve, n’en garder qu’une impression vague, savoir qu’il irradie l’humeur du jour, colore celui-ci, en attraper moins qu’une image, penser à la Recherche, se résoudre à ce qu’ici, effort et volonté n’auront pas prise, s’inquiéter de ce qui se dérobe, de ce qu’il y avait là et qu’on ignorera sans doute à jamais, de ce qu’on aurait pu saisir,[...]
apercevoir, en quittant le travail, ou depuis l’une des fenêtres du lycée, l’employé municipal et son gilet fluo, circulant tant bien que mal entre les élèves amassés là , contournant les épaules, de tout son corps s’excusant d’être là , un sac plastique transparent d’une main, de l’autre attrapant avec une pince à long manche canettes, bouteilles, paquets de chips,[...]
apercevoir une Renault 5 dans un parking, c’est irruption du passé — pour qui n’a pas le goût de la collection, demeure surpris devant tout rassemblement d’objets d’avant, imaginer une faille fantastique par laquelle la voiture se serait acheminée jusqu’ici, d’autant plus qu’impeccable — le collectionneur est un méticuleux maniaque —, comme neuve, alors qu’associée[...]
être accompagné dans ses journées par un piano, tout proche du bureau où travailler, suivre le lent apprentissage d’un morceau, main droite, main gauche, mains ensemble, interprétation, inconsciemment mémoriser quelques phrasés, mais aussi s’imprégner, porter ce qu’il serait possible d’appeler l’atmosphère de l՚œuvre à l’étude, et constater aussi le passage du[...]
se lever, et savoir que tu ne feras rien de ta journée, ou presque, en avoir l’intuition, parce que la certitude ce serait trop, trop pesant, trop vertigineux, pas sûr que tu puisses supporter pareil horizon vide, c’est se sentir lourd, même dans une carcasse frêle depuis toujours, c’est le sommeil aux épaules, pas tant la tête vide, mais ce qui s’y présente[...]
remuer la terre, c’est rituel de printemps, qu’un peu de nourriture naisse de tes gestes, et qu’en retour tes gestes aussi te nourrissent, suivre le rythme de la machine, fraises d’acier qui s’enfoncent au sol, veiller à effacer les traces de tes pas — c’est comme laisser page nette — être sensible à l’odeur de la terre remuée, et à la chaleur qui s’y accumulent[...]
être surpris par la pluie sur le chemin du travail, pédaler sous l’averse et sentir le jean qui se colle aux cuisses — humidité d’abord, le froid viendra après, une fois arrivé — la pluie qui coule sur le front et tombe dans les yeux — les flaques dans les creux du bitume, la projection d’eau sale des voitures et des bus — la démangeaison du cuir chevelu, faute[...]