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au fil des jours

vers le fantastique | proposition 1, les peurs

François Bon propose un atelier d’Ă©tĂ©, vers le fantastique, visant la rĂ©alisation d’un livre collectif. Proposition 1, travailler sur ses peurs, en un seul paragraphe formant bloc.
Façon pour moi de creuser et dĂ©velopper les deux principales sĂ©ries en chantier aujourd’hui sur le site, Lovecraft Generator d’une part, pour le surgissement d’images, de lieux, de personnages, d’atmosphère, d’autre part les notes de chevet, davantage tournĂ©es vers l’introspection et le quotidien.


Surmonter ses peurs, les vaincre. Ou admettre qu’elles accompagnent, quand bien mĂŞme relĂ©guĂ©es à l’Ă©tat de souvenir. Peurs constituantes. Peurs incrustĂ©es en pensĂ©e comme en chair. Peur du noir ou du sommeil, lumière allumĂ©e du couloir, et la prĂ©sence d’un frère, le temps que je m’endorme, mais rien pour chasser ce cauchemar rĂ©current, d’un clochard venu sonner à la porte d’entrĂ©e, à qui mon père ouvrait, puis impuissant le laissait aller, entendre l’intrus s’approcher dans le couloir, le voir, la porte qui s’ouvre, et, simultanĂ©, surgie du rideau blanc ce fantĂ´me de femme qui aussitĂ´t venait s’agenouiller près de mon lit, comme en prière, et le clochard de l’imiter : mixte de veillĂ©e funèbre et d’adoration de l’enfant par deux qui de la nuit, de la route, de la dĂ©chĂ©ance et la mort. Peur de l’eau, de la profondeur qui engloutit – une sĂ©ance de piscine, sept ou huit ans, la jeune femme qui remplaçait l’institutrice expliquant le soir à ma mère qu’elle n’avait rien pu faire, que tout s’Ă©tait passĂ© si vite : jetĂ© à l’eau du grand bassin – la peur c’est ridicule : « t’es pas en sucre !  », corps saisi et chute, bruit du corps qui claque, s’enfoncer dans la flotte perche tendue ne pas la saisir, couler, couler encore, ne jamais prendre la perche, et le type qui saute à l’eau, me prend sous le aisselles, le petit escalier pour sortir du bassin. Et là cogner poings serrĂ©s sur deux cuisses. Peur qui s’inscrit dans les larmes et la violence. Peur de C., camarade de classe de mon père, en errance perpĂ©tuelle dans les rues, longue silhouette, pardessus gris, cheveux mi-longs, qui chaque fois qu’il m’apercevait voulait venir m’embrasser, me parler – la folie habitait la ville. Peur, en travers de nationale, zone à trois voies, Ă©vitĂ© celui qui en face, perte de contrĂ´le, trop vite, R17 Gordini du frangin garagiste, 160 chevaux, levier de vitesse qui saute et recule, sortir indemne, voiture percutĂ©e couchĂ©e au fossĂ©, peur à l’idĂ©e du corps dedans — jamais plus depuis Ă©coutĂ© T Rex [1] au volant. Peur des crânes fracassĂ©s dans des bagarres – trois fois, deux inconnus et un très proche. Peur, un soir, traversant le forum des Halles, Ă©tui de guitare à la main, d’un zonard gueulant « c’est lui !  » et commençant à ma courser – jamais su pourquoi, ni mĂŞme si une raison – arrivĂ© à la station taxi de Châtelet le premier chauffeur dans la ligne qui dĂ©marre à vide, monter dans le second – dĂ©livrance. Peur des armes à feu à la ceinture des flics, dans les tiroirs des maisons – rare qu’on te les montre à jeun... Peur des chiens non tenus en laisse quand me promener à pieds ou à vĂ©lo – souvenir d’une morsure à la cuisse, tombĂ© de ma bicyclette, malinois qui s’acharne, le grand-oncle dans son cerisier à cueillir, ancien hangar de la ferme louĂ© à des pompiers pour l’hivernage de leurs caravanes, l’un deux saisissant le collier, frappant la gueule à terre, maintenant le chien dĂ©sormais calmĂ©. Peur de pĂ©nĂ©trer dans les Ă©tablissements psychiatriques – la frontière est si tĂ©nue. Peur de tous les lieux fermĂ©s, ou susceptibles de l’ĂŞtre, et capables d’accueillir un grand nombre – stades, prisons, salles de concert. Dernière peur : non de s’abandonner, mais de l’ĂŞtre – socle de toutes.

Notes

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