Il est onze heures lorsque nous sommes à  Saint-Bonnet. Nous tentons de mettre la chaudière en marche. Elle s’éteint aussità ´t en là ¢chant un nuage de fumée nauséabonde. Cathy allume alors la cuisinière et nous nous employons à  vider les meubles, trier, empaqueter. Je tire du petit buffet en merisier les livres qu’il contenait, les monte sous les combles. Au retour, je descends des planches vermoulues, des courtepointes moisies, des chaussures racornies. Nous débarrassons successivement la salle à  manger, les chambres, la pièce du haut où s’entassaient và ªtements, livres, papiers... Tout s’est arrà ªté en 1967, il y a vingt ans et c’est l’enveloppe vide, la chrysalide d’une vie — de deux vies — que nous évacuons, dispersons. Quelque chose de funèbre, de démoralisant se mà ªle à  nos manutentions. Tandis que je range ou jette photos et factures, papiers d’identité, và ªtements, fards et parfums, la pensée du néant qui nous cerne et nous talonne me transit. Nous allons mourir et les pauvres choses dont il faut s’entourer, prendre soin, seront bientà ´t des épaves que d’autres se chargeront de livrer aux flammes, de rendre, après nous, à  l’oubli. Nous montons nous faire offrir un café chez L., nous attardons à  parler devant le feu et reprenons nos tristes travaux. Des souvenirs des premières vacances que nous avons passées ici, voilà  dix ans, me reviennent, mais fondus, estompés. Nous repartons à  six heures et demi, rentrons par Forgès et Tulle, dînons au champagne — une bouteille rapportée de Saint-Bonnet — et montons dormir, rompus.
Pierre Bergounioux, Carnet de notes, 1980-1990
Commentaires
Pas de Message - Forum fermé