Combien déjà  de sites comme celui-ci ? Dont on disait partout que c’était un truc de oufs ! Et qui bientà ´t plongeaient l’oubli. C’était à §a aussi le web, des engouements passagers. Souvent beaucoup de bruit pour rien, ou presque. Un truc marrant quand tu le découvrais. Mais dont tout le monde se lassait très vite. Du neuf, et vite ! Un frisson plus grand... Un vrai comportement de camés, toi comme les autres ! Il y avait eu le site qui te proposait de retrouver tes potes de lycée ou de collège — ta génération n’avait pas été touchée, l’enjeu pour vous avait plutà ´t été de brouiller les pistes, effacer les traces —, construire ton arbre généalogique — tu étais trop jeune pour à §a aussi —, générer des couvertures de bouquins avec ton nom — tu l’as essayé à  plusieurs reprises, encore ado, c’est sans doute mà ªme, mis à  part les réseaux sociaux, le premier dans le genre qui t’ait attiré, du moins à  en croire la liste dressée par les flics : ils t’ont pisté depuis chez tes parents, quand tu vivais encore chez eux, fouillé tous les réseaux que tu avais pu utiliser —, puis il y a eu le site qui t’envoyait en un point aléatoire du monde et te permettait de t’y balader — celui-ci, sur les bancs de l’amphi, avait apparemment été ta bouée de sauvetage —, celui qui te permettait de connaître ton avenir pour les quinze prochaines années, en entrant simplement ton thème astral — le plus flippant, c’est que souvent il tombait juste, en tout cas c’est ce qui se disait, il y avait mà ªme eu une chaîne consacrée aux témoignages sur You Tube, true life à §a s’appelait, ou un truc dans le genre —, celui qui t’offrait de communiquer avec les morts, hosted ghost, à  partir d’une série de photos, d’eux et des lieux qu’ils avaient habités, ou celui qui écrivait ta biographie à  partir de ce que tu avais déposé sur les réseaux sociaux, des drà ´les de fictions c’est sà  »r, mais on s’en fout : tout à §a c’était pour le fun. Personne y croyait vraiment. Pour à §a qu’il avait fallu passer à  autre chose. La déconnade ne suffisait plus. C’est là  que la peur est devenue argument marketing. Le frisson devait se mériter ! Pour l’adrénaline, c’était de l’autre cà ´té qu’il fallait aller, cà ´té black web comme ils l’appelaient dans la presse. Ils en avaient fait leurs choux gras de ce truc. Un espace parallèle, mafieux en diable, où tu pouvais trouver de la came et te constituer un arsenal. En deux clics et quelques bit coins tu voyais débouler ta dope dans ta boîte aux lettres. Et des trucs de qualité, à  ce qu’on disait. De l’Amazon version destroy ! Pas une soirée sans qu’un mec te propose des acides ou des amphés certifiés black web. Un vrai label de qualité, c’était devenu ! Dixit les flics ! Aussi c’est pas étonnant que tout un tas de sites de tordus aient commencé à  faire le buzz sur l’envers de la toile. Accompagnés de la légende noire qui convenait : que du risque à  t’y connecter. Te faire assécher ton compte bit coins. Te faire repérer par les flics qui, paraît-il, commenà §aient à  y patrouiller sévère. Ou te faire pirater ton adresse IP, ta bécane devenue serveur pour la pègre ou le terrorisme international. De la folie tout ce qui se racontait. Le dernier des blacks sites en vue avait fait dans le kitsch pour son nom : Only you. Et comme le ridicule est censé ne pas tuer, chaque fois que tu te connectais, tu pouvais entendre les premières mesures chantées par les Platters :
Only you can make this all world seem right Only you can make the darkness bright
Tu effectuais ton stage de dernière année lors de ta première visite. On ne te donnait sans doute pas grand chose à  faire. Et tu avais profité de disposer d’une connexion autre que la tienne. Drame de l’open space tu avais dà  » rapidement t’interrompre. Quelqu’un s’était approché, avais tenté de regarder sur ton écran. Tu faisais sans doute une drà ´le de tà ªte. Ou peut-à ªtre avais-tu oublier de couper le son des enceintes. J’imagine assez bien l’effet produit par la voix des Platters. Un vendredi après-midi, à  peu près une heure avant la débauche. Tu t’étais vite fait bien fait déconnecté d’Only you. Le hasard t’avait offert une chance. Que tu n’as pas su saisir. La curiosité sans doute. Ou l’inconscience de la jeunesse. Et ce goà  »t du risque. Ne jamais oublier que c’était lui qui avait le succès de ces sites ! Ta seconde connexion avait eu lieu quelques heures plus tard. Depuis un bar proposant de la wi-fi. Comme tous ceux qui visitaient Only you depuis leur bécane, tu avais un peu flippé en voyant s’afficher un message de bienvenue. On te souhaitait une bonne visite en employant le pseudo qui te servait pour tes comptes Google. De vrais aspirateurs, ces sites. C’était à §a qui les rendaient dangereux. Mais maintenant que tu étais là  ! Surtout que ce qui suivit dépassa largement tout ce que tu avais pu imaginé... Cette carte qui s’affichait... ces points au-dessus desquels apparaissaient des albums photos... Chacun de ces lieux tu les avais habités, à  un moment ou un autre de ta vie. Tu as sans doute cliqué sur un des albums. Diaporama : toutes ces photos que toi et d’autres avaient prises et localisées sur les réseaux. C’était fabuleux ! Toute ta vie était là  , à  portée de clic. Les lieux, mais aussi ceux que tu y avais fréquentés. Tous ces visages : famille, amis, amours de vacances, connaissances, profs, entraîneurs, mà ªme ceux que tu avais affrontés quand tu faisais du tennis. Un vrai truc de dingues ! Tu n’as sans doute pas eu peur. Surtout bluffé. Balèze les mecs d’avoir réussi techniquement ce qui depuis longtemps demeurait un des grands fantasmes du net. La métaphore du filet, cette fois, prenait tout son sens. Avec tout ce qui remontait là  du passé... Tu as sà  »rement été un peu gà ªné lorsquÕšen glissant le curseur sur une photo tu avais vu apparaître une fenà ªtre contenant du texte. Tu t’étais rassuré en constatant que ces quelques lignes étaient purement informatives : identité de la personne, à ¢ge, profession, situation maritale, professionnelle, loisirs... On aurait dit la fiche d’un personnage pour un jeu de rà ´les. Et puis, c’était sà  »rement visible uniquement pour toi. Personne d’autre sans doute ne pouvait avoir accès au contenu te concernant. Puisqu’on t’avait identifié dès ta connexion... Tu croyais à ªtre parvenu à  te rassurer quand un détail t’a fait flipper. Presque rien, comme souvent. La vue du visage d’un mort. On ne peut pas dire que tu l’aies oublié. Sà  »rement pas. Mais de le voir, là  . Tu as placé le curseur sur son front. La fenà ªtre texte était différente des précédentes. Un fond noir. Avec un texte qui défilait :
Suivait le formulaire traditionnel où était demandé de cocher la case précédant J’accepte les conditions d’utilisation... Tu as sans doute hésité. L’idée d’un pur foutage de gueule t’est passé par la tà ªte. Tu avais sans doute déjà  bu. Sans doute as-tu recommandé avant de commencer ta lecture. C’est du moins ce que laisse supposer ta carte de paiement électronique. Tu avais besoin de te détendre. Et puis tu partais en soirée ensuite. Toi et tes potes aviez l’habitude de vous chauffer, comme vous disiez. Comme la gomme des pneus avant les courses de bagnoles. C’était souvent l’image que vous utilisiez dans les commentaires que vous laissiez sous les photos prises dans les bars en début de soirée. Ce soir-là  , tes potes t’ont assassiné sur ton mur. La première fois que tu n’étais pas au rendez-vous. Tu as commencé à  lire. Cette fois, à §a tenait davantage du récit. Et toujours ces photos qui contextualisaient. Tu as fini ton verre, réglé tes consos à  7h57, puis tu es parti en voiture. Tu avais pris soin d’éteindre ton téléphone. Tu te sentais pris au piège. Comme tous ceux qui avaient, comme toi, choisi d’outrepasser l’avertissement adressé par les concepteurs du site. C’est du moins ce qui ressort des témoignages de ceux qui ont survécu à  l’expérience. Dixit toujours les flics. Et les toubibs qui les ont pris en charge. C’est ce message qui t’a fait te sentir piégé. Ce message qui est apparu après que tu cliques sur en savoir plus :
Personne n’a eu besoin d’avertir qui que ce soit. Et c’était en cela que les administrateurs d’Only you étaient redoutables. Et juridiquement à  l’abri de toutes poursuites. Tu n’étais pas allé plus loin dans ta navigation. Et quand bien mà ªme tu l’aurais tenté, il n’est pas certain que tu aies trouvé beaucoup plus que ce que tu avais eu sous les yeux dans les pages précédentes. C’est à  tes souvenirs qu’ils t’avaient renvoyé. Ce sont eux qui t’ont mené à  300 kilomètres de là  où tu effectuais ton stage. Cette ville où tu avais fait tes études. On me permettra de ne pas la citer. De toute faà §on, qu’importe ? Tu as traversé une zone commerciale. Il n’y avait déjà  plus personne à  cette heure. Tu as peut-à ªtre croisé la voiture d’un vigile, entendu l’aboiement de son chien. Mais ce n’est pas à §a qui allait t’arrà ªter. Tu as laissé ta voiture dans le parking d’un distributeur d’électroménager. Tu as escaladé le talus qui mène à  la voie ferrée. Tu savais que les trains ne ralentissaient qu’après, une fois passée la zone commerciale. Pour leur entrée en gare. Tu l’avais pris assez souvent pendant trois ans. Lui aussi, d’ailleurs. On me permettra de ne pas le nommer. De toute faà §on, qu’importe ? Celui dont tu avais revu le visage quelques heures plus tà ´t. Tu ne l’avais pas effacé de ta mémoire. Seulement, tu avais fait avec. Ou tu avais fait sans. En fait, tu avais fait comme si. Comme si tu ne l’avais pas écouté ce message qu’il t’avait laissé. Tu partais en soirée. Lui ne sortait jamais avant le vendredi soir. La suite, ils ne te l’auraient sans doute pas mà ªme raconté sur ce putain de site. Du bluff, tout à §a. Du vent ! C’est à  toi-mà ªme qu’ils t’avaient renvoyé. Et seulement à  toi. Mais à §a suffisait pour que toi aussi, comme lui quelques années plus tà ´t, tu escalades le talus qui menait à  la voie ferrée. Seule différence entre toi et lui, n’avoir prévenu personne.
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Un livre ou un manuscrit trop horrible pour à ªtre lu – on est prévenu de ne pas le lire – quelqu՚un le lit et on le retrouve mort. L՚affaire d՚Haverhill.
H. P. Lovecraft, The Commonplace Book, note 56.
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