Ceux qui mettent le roman historique dans une catégorie à  part oublient que le romancier ne fait jamais qu’interpréter, à  l’aide des procédés de son temps, un certain nombre de faits passés, de souvenirs conscients ou non, tissus de la mà ªme matière qu’ l’histoire. Tout autant que La Guerre et la Paix, l՚œuvre de Proust est la reconstitution d’un passé perdu. Le roman historique de 1830 verse, il est vrai, dans le mélo et le feuilleton de cape et d’épée ; pas plus que la sublime Duchesse de Langeais ou l’étonnante Fille aux yeux d’or. Flaubert reconstruit laborieusement le palis d’Hamilcar à  l’aide de centaines de petits détails ; c’est de la mà ªme faaà §on qu’il procède pour Yonville. De notre temps, le roman historique, ou ce que, par commodité, on consent à  nommer comme tel, ne peut à ªtre que plongé dans un temps retrouvé, prise de possession d’un monde intérieur.
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En un sens, toute vie racontée est exemplaire ; on écrit pour attaquer ou pour défendre un système du monde, pour définir une méthode qui nous est propre. Il n’en est pas moins vrai que c’est par l’idéalisation ou par l’éreintement à  tout prix, par le détail lourdement exagéré ou prudemment omis, que se disqualifie presque tout biographe : l’homme construit remplace l’homme compris. Ne jamais perdre de vue le graphique d’une vie humaine, qui ne se compose pas, quoi qu’on dise, d’une horizontale et de deux perpendiculaires, mais bien plutà ´t de trois lignes sinueuses, étirées à  l’infini, sans cesse rapprochées et divergeant sans cesse : ce qu’un homme a cru à ªtre, ce qu’il a voulu à ªtre, et ce qu’il fut.
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Tout à ªtre qui a vécu l’aventure humaine est moi.
M. Yourcenar, Mémoires d’Hadrien, Carnets de notes
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