Il y a dans notre vie des matins privilĂ©giĂ©s oĂą l’avertissement nous parvient, oĂą dès l’Ă©veil rĂ©sonne pour nous, Ă Â travers une flà ¢nerie dĂ©sĹ“uvrĂ©e qui se prolonge, une note plus grave, comme on s’attarde, le cĹ“ur brouillĂ©, Ă Â manier un Ă Â un les objets familiers de sa chambre Ă Â l’instant d’un grand dĂ©part. Quelque chose comme une alerte lointaine se glisse jusqu’Ă Â nous dans ce vide clair du matin plus rempli de prĂ©sages que les songes ; cŐšest peut-Ă ÂŞtre le bruit d’un pas isolĂ© sur le pavĂ© des rues, ou le premier cri d’un oiseau parvenu faiblement Ă Â travers le dernier sommeil ; mais ce bruit de pas Ă©veille dans l’à ¢me une rĂ©sonance de cathĂ©drale vide, ce cri passe comme sur les espaces du large, et l’oreille se tend dans le silence sur un vide en nous qui soudain n’a pas plus d’Ă©cho que la mer. Notre à ¢me s’est purgĂ©e de ses rumeurs et du brouhaha de foule qui l’habite ; une note fondamentale se rĂ©jouit en elle qui en rĂ©veille l’exacte capacitĂ©. Dans la mesure intime de la vie qui nous est rendue, nous renaissons Ă Â notre force et Ă Â notre joie, mais parfois cette note est grave et nous surprend comme le pas d’un promeneur qui fait rĂ©sonner une caverne : c’est qu’une brèche s’est ouverte pendant notre sommeil, qu’une paroi nouvelle s’est effondrĂ©e sous la poussĂ©e de nos songes, et qu’il nous faudra vivre maintenant pour de longs jours comme dans une chambre familière dont la porte battrait inopinĂ©ment sur une grotte.
Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes
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