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mécanique / électrique

Le sédiment pédagogique, le pli de lÕšenseignement et de la recherche universitaire marquent fortement notre approche de lÕšart. Avant màªme que nous lÕšaimions, on a voulu nous lÕšexpliquer. Ce qui occupe lÕšenseignant dans une Å“uvre dÕšart, pour des raisons professionnelles dÕšailleurs valables, ce nÕšest pas la libre imprégnation qui permet dÕšen jouir, ce sont les prises extérieures par lesquelles on peut la saisir : il nÕšy a pas de discours organisé de la communication intime avec un livre, et le professeur, lui, cherche le fil qui dépasse de la pelote et qui va lui permettre ostensiblement de la dévider. Mais le secret dÕšune Å“uvre réside bien moins dans lÕšingéniosité de son organisation que dans la qualité de sa matière : si jÕšentre sans préjugé dans un roman de Stendhal ou un poème de Nerval, je suis dÕšabord et tout entier seulement odeur de rose, comme la statue de Condillac – sans yeux, sans oreilles, sans perceptions localisées – et par là l՚œuvre dÕšart me livre son caractère opératoire distinctif, qui est dÕšoccuper immédiatement et sans différenciation aucune toute ma cavité intérieure, à la manière dÕšun gaz qui se dilate. Révélant ainsi sa totale élasticité, et lÕšimmanence impartagée de sa présence vraie : non subdivisable, parce que sa vertu réside tout entière dans chaque particule.

Ce qui égare trop souvent la critique explicative, cÕšest le contraste entre la réalité matérielle de l՚œuvre : étendue, articulée, faite de parties emboîtées et complexes, et màªme si lÕšon veut, démontable jusque dans son détail, et le caractère rigidement global de lÕšimpression de lecture quÕšelle produit. Ne pas tenir compte de cet effet de l՚œuvre, pour lequel elle est tout entière bà¢tie, cÕšest analyser selon les lois et par les moyens de la mécanique une construction dont le seul but est de produire un effet analogue à celui de l՚électricité. Et il y a màªme à pareille méprise une circonstance aggravante : cÕšest que le constructeur de l՚œuvre dÕšart, chaque fois quÕšil a nourri son travail, chaque fois aussi quÕšil a eu besoin de la contrà´ler, sÕšest refait lui aussi tout entier « odeur de rose  », éliminant de son esprit tout sauf une certaine impression directrice aveugle et quasi olfactive, qui lui permet seule de choisir entre les pistes qui sÕšoffrent à lui. Tout lÕšouvrage a été conà§u et exécuté sous le contrà´le de cette essence pressentie de l՚œuvre, qui nÕšest peut-àªtre pas celle qui se communique au lecteur (cÕšest la profonde équivoque de la transmission dans l՚œuvre dÕšart) mais dont la nature est identique. Seulement, de ce passage du complexe à lÕšindivisible, qui est aussi à sa manière un saut de la quantité à la qualité, quand vous « expliquez  », quand vous analysez les livres, vous ne dites rien. Vous démontez les rouages qui sÕšimbriquent mais comment en sort-il du courant ? et pourquoi telle autre machine, non moins fortement, intelligemment agencée, nÕšen produit-elle pas ? Comme lÕšinsuffisance de telles méthodes éclaterait mieux si, au lieu dÕšanalyser des Å“uvres déjà triées, vous les abordiez à la source, là où aucun label de garantie encore ne les désigne et ne les distingue : prises au hasard dans la pile des manuscrits qui sÕšentassent sur la table dÕšun lecteur, dans une maison d՚édition ! Car la nature de vos méthodes vous conduirait alors au vu de tous à analyser tout aussi subtilement, tout aussi brillamment une fausse Å“uvre quÕšune Å“uvre vraie, cÕšest-à -dire non pas à démonter une machine qui fonctionne mal de la màªme faà§on quÕšune machine en état de marche, ce qui nÕšest que normal, mais – ce qui lÕšest moins – à vous affairer exactement comme sÕšil jouissait dÕšune plénitude d՚àªtre, autour de ce qui, littérairement, nÕšexiste pas.
J. Gracq, en lisant en écrivant

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