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vases communicants

vases communicants | arnaud maà¯setti

vases co avril 2010

Profondeurs latérales

Masses informes de foules passantes, villes entières quÕšon empile sur des immeubles de plus de quinze étages, ombres chinoises de corps inertes penchés sur des écrans et alignant les chiffres, yeux crevés sur le travail à faire, bouche fermée sur le travail fait, grands couloirs dont je devine dÕšici, cette rue où je passe le soir en rentrant, la profondeur éventrée, open space clos sur les regards des autres ; et je rentre en coup de vent.

Pas pressés piétinés attendant ligne quatorze les portes automatiques qui protègent du suicide (mais pas de son idée), métro effilé dÕšun bout à lÕšautre, à lÕšavant le regard porte jusqu՚à lÕšarrière puisquÕšil nÕšy a pas de portes entre les voitures, il nÕšy a pas de conducteur non plus — à lÕšheure où je rentre, des dizaines de feuilles volantes des journaux dépareillées forment sous les sièges usés du métro une image juste du jour déjà passé, mais dehors il fait encore jour ; cÕšest vrai, on a changé dÕšheure : cette phrase me vient, et je la tourne en moi quand je pose les yeux sur ces journaux gratuits, et que je sors à lÕšair libre place Clichy.

Trajet mécanique qui se fait à lÕšaveugle : gagner rue Nollet, jusque Legendre ; et souffler à chaque pas : de boiter un peu depuis une semaine me donne une souplesse légère des pensées, un rythme neuf du corps contre lequel je mÕšappuie pour avancer — mais le poids forcé sur la jambe droite prend du retard toujours sur la jambe gauche plus lourde (mille pointes dans la cheville qui sÕšenfoncent à chaque pas), et une seconde après lÕšautre, je suis au bout de dix mètres, cinq mètres derrière le fantà´me de mon propre corps dÕšil y a un mois seulement, qui gagne du terrain encore — peut-àªtre cela a-t-il un rapport avec la chute plus lente de la lumière ces derniers jours ? Ces semaines où le soleil se rend plus péniblement m՚épuise toujours davantage chaque année — et ce nÕšest pas un hasard si mon corps mÕša là¢ché précisément à cette période-ci.

Quand je rentre, que je note cette journée (et avec elle, toutes les autres évidemment), je tombe ; mÕšefforce sur quelques lignes de reculer un peu le jour. Quelques minutes, une heure au plus, mais cela justifie le jour et le fait de lÕšavoir enduré, accompagné, travaillé de toutes sortes jusqu՚à en noter les formules concrètes et sensibles des lois de sa gravité.

DÕšy revenir maintenant, l՚écrire, ne change pas les frontières de la fatigue, mais en leur donnant ces contours, je saurai mieux monter à lÕšassaut demain ; peut-àªtre. Briser toutes ces profondeurs latérales, ces couloirs de bureaux de lÕšavenue de France, cette longitude de corps assis de la ligne Bibliothèque / Saint Lazare, cette rectitude étroite de la rue Nollet, changer tout cela en ligne courbe et fuyante, dans les lignes noires avancées sur l՚écran, lettre après lettre. Tout un labyrinthe de ville auquel je ràªve — jÕšai les plans — mais dont me manquent les intersections décisives pour les circulations, le vent de mars féroce : tout une géométrie de ville allant, dans la marche qui lÕšentraîne, le désÅ“uvrement qui lÕšouvre en deux comme une blessure.

Voir en ligne : mon texte chez arnaud

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