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vases communicants

vases communicants | christophe grossi

vases co janvier 2011

à‡a a commencé comme à§a. D ?abord quelques twitts pour proposer l ?échange, trouver un créneau de libre et décider d ?une ligne directrice commune. Ensuite, un échange de mails pour mettre au point. « Donc, bref, pour faire court, me disais hier qu ?on pourrait échanger autour de la rentrée fictive de janvier. » Référence à une série texte parue sur le convoi des glossolales, blog collectif initié par Anthony Poiraudeau, où il s ?agissait d ?écrire la critique de romans imaginaires… « On se propose chacun un titre et un nom d ?auteur comme 1ère contrainte. Il en faudrait une autre au moins pour que l ?exercice soit plus ″stylé″. » Réponse : « Nous pourrions nous donner comme autre contrainte que l ?ouvrage qui fait l ?objet du compte-rendu de lecture soit un de ces fonds de tiroir qui font parfois l ?objet d ?une réédition posthume (…). Pour ce qui est du titre du bouquin, il est possible d ?utiliser le générateur de titres et de couvertures d ?Omer Pesquer. » Et à la fin du dernier mail : « PS : faudrait voir aussi pour mettre un petit mot introductif commun sur notre principe (genre énoncé Oulipo ; à§a vous va ?). »


rentrée fictive de janvier | le retour d’Amendeus

Deux ans après sa crise cardiaque en plein concert dans un Olympiastadion lapon plein à craquer et tandis qu’il interprétait Ma mère est une fine lame bourrue, Amédée Kestembert, chanteur et guitariste charismatique des Black Molloy - groupe qui a dépoussiéré le southern hypno-stono-rock (avec Dan Habakuk à la basse et Kwakizbak à la batterie) -, continue de faire parler de lui. Bénéficiant aujourd’hui encore d ?une authentique aura culte (alors que de son vivant celui-ci, lorsqu’il ne se languissait pas dans un underground austère, s’était surtout fait connaître pour ses frasques, ses provocations et ses messes noires), « Amendeus » (comme on le surnommait) revient sur le devant de la scène... mais littéraire cette fois.

Vous l’avez entendu pràªcher, éructer ou bramer dans un hardcore bourru tandis que ses poils pubiens s’enflammaient ; vous l’avez vu dans un heavy funk singulièrement épais et mordant (Stone Egg) en train de décapiter de supposés ovnis lors d’un show télévisé en 2007 ; vous avez assisté un an plus tard à sa sortie de l’Hà´tel des Foncés réduit en poussière après que le service d’étage a été mordu jusqu’au sang parce que tous les employés avaient refusé d’avaler ses excréments : aujourd’hui savourez ses lignes non snifées du carnet des vents, son mythique carnet à spirales retrouvé sur lui à sa mort par son ami de toujours l’écrivain Pascal Papillon et qui vient de paraître aux éditions irrégulières.

Si ses fans ne seront pas surpris de retrouver ici le swing funkoà¯de croustillant de son écriture (tous les textes de ses chansons sont reproduits ici, notamment celles de son dernier album, Metrecap Hello), ils découvriront également plusieurs nouvelles écrites sous acide et jamais publiées. Je vous conseille de commencer par Respirez vous àªtes sur flip, longue et minutieuse observation du carrelage vu d’un tabouret de bistrot où immobilité et mouvement n’ont jamais été aussi màªlés : Je suis les motifs patauds d’un bon gris à chiquer tombé sous le comptoir en me grattant les burnes, écrit-il. La nouvelle, Bad trip à la mode des cons, est quant à elle une sacrée performance ; bà¢tie autour de phrases entendues dans les squats uniquement entre trois et quatre heures du matin, elle renouvelle en quelques pages tout un pan de la littérature mondiale. Voyez plutà´t à§a : La grande pompe du pachyderme se colle à une mangue extatique qui ne se décollera que lorsque le faisceau laser aura balayé la rondelle élastique. Et que dire de Dans la peau, elles, cette nouvelle dans laquelle un homme compose des poèmes sataniques avec le sang de ses amantes (prénom, groupe sanguin et rhésus, lieu et date en guise de titres) sur les murs d’une ville encerclée par des écrans géants ? Tout est là , rien ne manque à l’appel et il n’est pas rare de voir s’échapper au détour d’une phrase certaines pointes bien dans l’esprit métal et quelques lésions électriques : La politique est une espèce de magma épais aussi massif que vif déversé là où les figures vaudous retrouvent les marais inquiétants et les cous rouges en santiags boueuses. Je vous le dis tout net : à la lecture du carnet de « Amendeus », on ne peut s’empàªcher d’àªtre admiratif devant une voix comme la sienne qui éviscère la poésie des plus grands écrivains. Fucking Robot devrait d’ailleurs àªtre étudiée à la fac ! Appréciez donc ce coup de patte qui n’a aucun autre équivalent aujourd’hui : Sur une épaisse colonne vertébrale j’aligne des ombres désossées, écrit-il. Ou encore : La timbale du diable ne laisse aucune place au doute, dopé qu’il est à la chute.

Jusqu’aux deux tiers du livre, les aficionados des Black Molly ne pourront que se prosterner devant ce génie qu’était Amédée Kestembert et remercier au centuple les éditeurs d’avoir su retrouver ce fameux carnet que l’artiste n’a pas eu le temps d’avaler avant de descendre dans le fleuve. Mais un autre Amédée surgit dans la dernière partie du livre qui réunit quelques lettres adressées à sa mère qu’il n’aurait jamais terminées ni envoyées. Le rodéo est dépareillé quand je t’époumone avec mon Bang Bang !, lui écrit-il pour la nouvelle année. Ou : tes déhanchements moites échappés d ?un vieux saloon caché retiennent ton tour de taille, pour son anniversaire. C’est un autre Kestembert qu’on découvre alors : petit garà§on abusé qu’on aurait fait grandir trop vite et adulte brisé qui, sans jamais vraiment se confier à son carnet, se trahit néanmoins à plusieurs reprises. Les éditeurs n’auraient sans doute pas dà » publier ces fragments-là qui viennent troubler l’image de ce grand artiste qui nous manque tant. Néanmoins, ce livre (qui est déjà un classique) dynamisera cette rentrée un peu trop fade à notre goà »t (hormis les nouvelles inédites d’Anita Bardelaine-Simonni publiées également par les pugnaces éditions irrégulières et que nous vous conseillons bien entendu).

Amédée Kestembert, Le carnet des vents, éditions irrégulières, janvier 2011, 216 pages, 15 euros

Voir en ligne : mon texte chez christophe

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