L’introduction naturelle, le vestibule de l’Océan, qui prépare à  bien le sentir, c’est le cours mélancolique des fleuves du Nord-Ouest, les vastes sables du Midi, ou les landes de Bretagne. Toute personne qui va à  la mer par ces voies est très frappée de la région intermédiaire qui l’annonce. Le long de ces fleuves, c’est un vague infini de joncs, d’oseraies, de plantes diverses, qui, par les degrés des eaux mà ªlées et peu à  peu saumà ¢tres, deviennent enfin marines. Dans les landes, c’est, avant la mer, une mer préalable d’herbes rudes et basses, fougères et bruyères. à ‰tant encore à  une lieue, deux lieues, vous remarquez les arbres chétifs, souffreteux, rechignés, qui annoncent à  leur manière par des attitudes, j’allais dire par des gestes étranges, la proximité du grand tyran, et l’oppression de son souffle. S’ils n’étaient pris par les racines, ils fuiraient visiblement ; ils regardent vers la terre, tournent le dos à  l’ennemi, semblent tout près de partir, en déroute, échevelés. Ils ploient, se courbent jusqu’au sol, et ne pouvant mieux, fixés là  se tordent au vent des tempà ªtes. Ailleurs encore, le tronc se fait petit et étend ses branches indéfiniment dans le sens horizontal. Sur les plages où les coquilles, dissoutes,élèvent une fine poussière, l’arbre en est envahi, englouti. Ses pores se fermant, l’air lui manque ; il est étouffé, mais conserve sa forme et reste là  arbre de pierre, spectre d’arbre, ombre lugubre qui ne peut disparaître, captive dans la mort mà ªme.
Jules Michelet, La Mer
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