entrepris cet été la traversée des Rougon-Macquart, lentement mais sà  »rement ; c’est sur un cimetière que l’ensemble trouve son appui ; importance des maisons et des jardins, c’est par eux que tout s’organise ; images de la curée et du loup qui très vite se mettent en place
Lorsqu՚on sort de Plassans par la porte de Rome, située au sud de la ville, on trouve, à  droite de la route de Nice, après avoir dépassé les premières maisons du faubourg, un terrain vague désigné dans le pays sous le nom d՚aire Saint-Mittre.
LÕšaire Saint-Mittre est un carré long, dÕšune certaine étendue, qui sÕšallonge au ras du trottoir de la route, dont une simple bande dÕšherbe usée la sépare. DÕšun cà ´té, à  droite, une ruelle, qui va se terminer en cul-de-sac, la borde dÕšune rangée de masures ; à  gauche et au fond, elle est close par deux pans de muraille rongés de mousse, au-dessus desquels on aperà §oit les branches hautes des mà  »riers du Jas-Meiffren, grande propriété qui a son entrée plus bas dans le faubourg. Ainsi fermée de trois cà ´tés, lÕšaire est comme une place qui ne conduit nulle part et que les promeneurs seuls traversent.
Anciennement, il y avait là  un cimetière placé sous la protection de Saint-Mittre, un saint provenà §al fort honoré dans la contrée. Les vieux de Plassans, en 1851, se souvenaient encore dÕšavoir vu debout les murs de ce cimetière, qui était resté fermé pendant des années. La terre, que lÕšon gorgeait de cadavres depuis plus dÕšun siècle, suait la mort, et lÕšon avait dà  » ouvrir un nouveau champ de sépultures à  lÕšautre bout de la ville. Abandonné, lÕšancien cimetière s՚était épuré à  chaque printemps, en se couvrant dÕšune végétation noire et drue. Ce sol gras, dans lequel les fossoyeurs ne pouvaient plus donner un coup de bà ªche sans arracher quelque lambeau humain, eut une fertilité formidable. De la route, après les pluies de mai et les soleils de juin, on apercevait les pointes des herbes qui débordaient les murs ; en dedans, c՚était une mer dÕšun vert sombre, profonde, piquée de fleurs larges, dÕšun éclat singulier. On sentait en dessous, dans lÕšombre des tiges pressées, le terreau humide qui bouillait et suintait la sève.
Une des curiosités de ce champ était alors des poiriers aux bras tordus, aux nÅ“uds monstrueux, dont pas une ménagère de Plassans nÕšaurait voulu cueillir les fruits énormes. Dans la ville, on parlait de ces fruits avec des grimaces de dégoà  »t ; mais les gamins du faubourg nÕšavaient pas de ces délicatesses, et ils escaladaient la muraille, par bandes, le soir, au crépuscule, pour aller voler les poires, avant mà ªme quÕšelles fussent mà  »res.
La vie ardente des herbes et des arbres eut bientà ´t dévoré toute la mort de l՚ancien cimetière Saint-Mittre ; la pourriture humaine fut mangée avidement par les fleurs et les fruits, et il arriva qu՚on ne sentit plus, en passant le long de ce cloaque, que les senteurs pénétrantes des giroflées sauvages. Ce fut l՚affaire de quelques étés.
Zola, La Fortune des Rougon
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