Reprise du texte écrit dans le cadre des vases communicants de février, avec Anh Math.
Sans cette foutue manie d’arriver partout en avance, rien de tout à §a n’aurait eu lieu. Une bonne demi-heure d’avance à  la gare des Aubrais. Je risquais pas de rater mon train. Tout avait bien commencé : j’avais trouvé une place de parking du premier coup, choisi une borne en état de marche pour imprimer mon billet. Rien que du bonheur !
C’est après que à §a s’est gà ¢té. Mà ªme si, sur le coup, je me suis dit que décidément aujourd’hui j’avais du bol. Je bois toujours un demi avant de rejoindre le quai. Vieille habitude. Sans doute un peu d’angoisse à  endormir. Pas souvent que je sors de chez moi. Je m’arrà ªte au buffet. Mà ªme si ils appellent plus comme à §a désormais. Innommable, un lieu pareil ! Une buvette ouverte aux courants d’air. J’aime bien y passer dix minutes, un quart d’heure. Au delà  , c’est sà  »rement insupportable. Mais m’asseoir à  une table avec ma bière, et regarder tout ce monde qui s’agite. Ce que j’ai fait. Quasi réflexe ! J’ai choisi une table au fond, histoire d’avoir une vue sur l’ensemble. Et d’à ªtre suffisamment éloigné des enceintes qui diffusaient une radio à  la con.
J’ai posé ma mousse et, avant de m’asseoir, ai fait glisser le sac à  dos que je portais en bandoulière. Pas grand chose dedans : un slip, une brosse à  dents, ma tablette. Toujours aimé voyager léger. Et puis je partais que pour 24 heures. Passer la soirée avec Didier, depuis le temps qu’on s’était pas vus. Moins marrant, l’entretien prévu le lendemain. Mais je vais pas commencer à  vous raconter ma vie, quoique...
C’est quand j’ai voulu poser mon sac sur une des deux chaises que tout a commencé. Que tirer une chaise en arrière puisse avoir de telles conséquences, j’aurais jamais cru. Mais inutile d’aller trop vite ! J’ai tiré la chaise en arrière, et là  j’ai vu un sac posé dessus. Comme le mien ou presque. Un peu plus neuf. J’ai jamais trop su prendre soin de mes affaires. J’ai posé le mien à  cà ´té, l’air de rien. D’abord, j’ai rien fait. Comme de la méfiance. Que ce sac ait pu rester là  , sans surveillance. Pas que
j’aie craint qu’une bombe ait pu se trouver dedans. Mais avec la parano généralisée qui régnait, les annonces haut-parleurs répétées à  longueur de journée que, pour votre sécurité, si un sac laissé sans surveillance... En fait, personne faisait gaffe à  rien dans ce genre de lieu. à € peine si on vous regarde quand vous passez votre commande. Et quand t’as fini ta conso, à  toi de ramener ton plateau sur une étagère métallique prévue à  cet effet. Clients traités comme des bestiaux. Comme un flux. Qui pour remarquer que tu repartes ou non avec ton sac ? Anonyme à  ton arrivée, anonyme à  ton départ. Personne ici pour te regarder, te parler ou t’écouter. Pas d’habitués possible. Les deux serveuses sans cesse en mouvement, parce qu’aussi en charge du stand sandwiches à  emporter qui ouvre sur le hall de la gare. Leur perpétuel va-et-vient, casquette à  longue visière vissée au crà ¢ne qui leur écrase le regard. Et cet écriteau au mur, pour décharger l’établissement de toute responsabilité en cas de vol.
Un client avait oublié son sac. Distrait. Ou paniquant soudain en réalisant l’heure qu’il était, qu’il risquait de rater son train. Déjà  encombré du plateau. Se pressant maladroit. Et il avait suffi que la table le dissimule aux regards. Pas de quoi en faire un fromage !
Ce qui s’est passé ensuite, mettons le sur le compte de la curiosité. Et puis ce sac ressemblait tellement au mien. Demi à  moitié bu, j’ai pas pu résister. J’ai fait glisser la fermeture éclair et jeté un Å“il à  l’intérieur. Personne pour s’intéresser à  mon manège. Un couple en pleine discussion orageuse. Une vieille qui relisait son billet pour la vingtième fois. Quant aux autres clients, ils étaient beaucoup trop loin pour remarquer quoi que ce soit. Aussi ai-je sans hésitation aucune sorti l’ordi portable qui s’y trouvait pour le glisser dans son sac.
Ma bécane commenà §ait à  dater. Et celui-ci était tout récent. Peut-à ªtre mà ªme neuf. Pourquoi hésiter ? Quand t’as pas trop le rond... Et puis, autant l’avouer, il s’est sans doute glissé un peu de pensée magique dans ma réaction. Quand tout se barre en couilles dans ta vie, t’es prà ªt à  prendre tout ce qui, de près ou de loin, peut te donner l’impression d’un nouveau départ. Encore une fois, je vais pas vous raconter ma vie. Disons, pour faire vite, que ma femme venait de se barrer pour ne plus revenir, et cà ´té boulot, c’était guère mieux : quelle idée j’avais eu de me débarrasser de l’inspecteur Laffont en lui collant trois balles dans le bide ? J՚écrirais quoi maintenant ?
Bref, j’étais à  un de ces moments comme à §a, où t’es prà ªt à  voir des signes dans la moindre connerie. Et puis, il y a eu cette impression un peu confuse qui a germé : écrire sur cette bécane serait plus facile. Je venais de tourner une page. Sans compter cette idée qui me trottait dans la tà ªte depuis un bon moment, d’écrire un texte où un gars trouverait une clé USB, avec dessus tout un tas de fichiers. Une histoire où le narrateur entrerait dans l’intimité d’un inconnu, celui-ci se dessinant peu à  peu. C’était le vieux coup du manuscrit trouvé dans une bouteille ou une malle, confié par un agonisant... Dans la grande tradition du roman d’aventures... Je le tenais mon sujet. Il suffisait de remplacer la clé USB par l’ordi portable. Et, comble de l’emboîtement, j’écrirais mon récit sur cette mà ªme bécane !... Un instant, j’eus l’idée de fà ªter à §a avec une seconde bière. Mais il était temps de rejoindre le quai. Et il était inutile de me faire remarquer...
Je ne pouvais pas attendre. Un vrai gosse devant un paquet cadeau ! à € peine monté dans le train j’allumais le portable. Un peu déà §u : pas un seul fichier, pas un document. Le gars ou la fille venait sans doute de l’acheter. Sur le bureau, seulement le renard roux de Mozilla. Mais pas de wi-fi dans le TER. Je regarderais le soir : historique, marque-pages... S’il s’était déjà  connecté au web, je pourrais peut-à ªtre un peu cerner qui était le proprio de l’engin. Au moins vaguement savoir à  qui j’avais à  faire. Parce que je commenà §ais à  me méfier, pour tout dire. Léger accès de parano qui venait de me choper sans prévenir. Tout à §a était trop beau. Une bécane neuve qui te tombe du ciel... Je commenà §ais à  me faire des films. J’imaginais des dossiers dissimulés dans un recoin de disque dur. Après tout, j’avais regardé de faà §on superficielle, et mes connaissances en informatique ne dépassaient pas celles d’un utilisateur lambda.
Si à §a se trouve, le gars voudrait récupérer sa machine. Tout un scénario me défilait dans la tronche ! Peut-à ªtre que des informations confidentielles avaient été planquées. Un vrai roman d’aventures ! Faà §on espionnage : après tout, la DGSE avait ses bureaux dans la forà ªt d’Orléans. J’avais mà ªme pensé écrire un truc sur ses agents dont on disait qu’ils se refaisaient une virginité dans la ville. à ‡a me faisait marrer d’avoir peut-à ªtre avoir été déjà  en contact avec un de ces espions qu’on immergeait de nouveau dans le bain social, histoire qu’ils se refassent une couverture de monsieur-madame tout-le-monde avant d’à ªtre réactivés, comme ils disent...
J’avais une autre hypothèse, plus modeste mais tout aussi flippante : données confidentielles, toujours, mais cette fois industrielles. Dans les arcanes de la machine, des informations qui valaient de l’or. La ville abritait un des plus gros labos pharmaceutiques. Et l’actualité récente avait montré qu’on n’y faisait pas toujours dans la dentelle. J’imaginais une molécule aux conséquences dingues pour l’avenir de l’humanité, ou la découverte d’un virus susceptible de devenir une redoutable arme chimique... Autant de suppositions qui me transformaient en cible ambulante pour espions et nervis en tous genres ! Un vrai roman, je vous dis.
C’est seulement en rentrant à  l’hà ´tel que j’ai eu le temps d’inspecter de plus près ma trouvaille. Il était pas loin de deux heures du matin et, autant l’avouer, j’avais passablement picolé. Un grave, le Didier ! Et comme, en plus, à §a faisait bien six mois qu’on n’avait pas passé de soirée ensemble... On avait comme qui dirait compensé... J’ai eu beau effectuer une recherche systématique en essayant toutes les terminaisons de fichiers que je connaissais, que dalle ! Restait l’icà ´ne au renard roux. L’hà ´tel était équipé en wi-fi. Je cliquai. Sur la barre personnelle, seul un lien vers une page Facebook. J’allais enfin savoir. Je pourrais peut-à ªtre mà ªme contacter le proprio de l’engin pour le lui rendre. Il y en a qui ont le vin mauvais, moi j’ai plutà ´t l’ivresse altruiste ! Et j’étais d’autant plus généreux qu’apparemment j’en tenais une sévère. J’ai à  peine eu le temps de me connecter au réseau social et d’apercevoir la page du gars en question. Un certain Théo. Vous comprendrez que je dévoile pas son nom ! Il devait avoir ouvert son compte récemment. Pas d’amis. Mà ªme pas de photo. Pas non plus de statut publié. Aucune info sur son profil. Juste, en photo de couverture, un cliché d’Orléans vu d’avion. J’ai reconnu tout de suite, avec la Loire et puis la cathédrale. J’ai vaguement cherché la rue où je crèche et ensuite... Black out !
Je me suis réveillé vers le matin, la gueule dans le cul, le bide pas très stable. Apparemment, j’avais pas pris le temps de me déshabiller avant de tomber sur le lit. J’avais dà  » essayer, puisque je ne portais plus qu’une seule pompe. Je me suis rincé la bouche au lavabo, et j’ai enfilé la demi bouteille d’eau minérale offerte par l’hà ´tel. L’ordi était encore sur le bureau, capot ouvert. J’ai effleuré le pavé numérique, relancé la session. La page Facebook du fameux Théo s’est affichée. Le gars avait posté son premier statut. Sans doute depuis un autre ordi. J’ai pas bien pigé sur le coup. Avec trois heures de sommeil et encore pas loin d’un gramme dans chaque bras !... Il a fallu que je relise. Et là  j’avoue que j’ai un peu flippé : expérience commencée : suspens !
à ‡a sentait le coup tordu à  plein nez. On m’avait piégé. Mais qui ? Pourquoi ? Peut-à ªtre en saurais-je un peu plus en cliquant sur le lien joint au statut. Un document Google Drive, d’après l’adresse. Le gars, pour conserver son anonymat, s’était inscrit sous le nom de Projet ligne. Se cachait quoi derrière ce pseudo ? Le document s’est ouvert. On n’y avait accès qu’en lecture seule. J’ai commencé à  lire, et là  enfin j’ai compris...
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