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vases communicants

vases communicants | Franck Queyraud

AujourdÕšhui, échange avec Franck Queyraud dont on peut suivre l"écriture sur son blog Flà¢nerie quotidienne. Point de départ de l’écriture, des cartes postales de la première guerre mondiale.
Merci à Brigitte Célérier pour la recension des échanges.
Avec mille excuses pour la mise en ligne à retardement (pas toujours bien doué pour les dates).


Ce mot de drà´le… cartes postales de l՚enfer…

Strasbourg, lundi 3 mars 2014.
Cher Michel,

Pour notre vase communicant de mars, tu mÕšas envoyé une carte postale de soldats détendus de la guerre 14 dans les tranchées faisant cercle autour dÕšun soldat jouant dÕšun « drà´le  » de violoncelle : « drà´le  » pour ce violoncelle « nouveau genre  » car non-conforme aux principes de la lutherie - sans doute construit de bric et de broc… par temps de manque… Ce qui ne manquait certainement pas, c՚était lÕšenvie désespérée d՚àªtre ailleurs, de sÕšamuser, de danser, de tenir une femme dans ses bras au bal du village, de penser à une autre réalité quand les temps étaient encore insouciants. On ne le sait quÕšaprès…
Cette photographie a été prise à Carency si jÕšen crois la légende, dans le Pas de Calais. Elle véhicule une certaine vision de lÕšinsouciance. Celle permise par lÕšimagerie officielle : ne représenter la guerre que par des temps de repos, de pause ou de détente et non par ses charniers, ses corps mutilés, ses mains coupées. Le terme de « drà´le de guerre  » employée pour la suivante sera lÕšapogée de lÕšutilisation de ce mot. Il nÕšy a pas de date mentionnée mais le village de Carency fut détruit lors des batailles de lÕšArtois en mai 1915.
En rangeant des cartons et par le grand bonheur que le hasard permet quand on y est attentif, ma compagne a déniché la carte postale ci-dessous, comportant elle aussi, un instrument de musique. JÕšai tout de suite pensé à une balalaà¯ka. Celui qui la taquine – balakat en russe veut dire bavarder, plaisanter, taquiner - serait-il alors un soldat russe ? Je nÕšai pas la connaissance des types dÕšuniformes.

Mais, cette balalaà¯ka comporte huit cordes qui siéent mieux à une mandoline italienne. Et le soldat ne peut pas àªtre italien, au moment où la photo a été prise car la date est mentionnée au verso : le 18 juin 1915. Où a-t-elle était prise ? Cet autre 18 juin, deux batailles sanglantes se déroulaient : celle dÕšArtois et celle dÕšYpres, en Belgique. Des pays comme le Canada y participaient pour la première fois… Le joueur de mandoline était-il canadien ? Il faudrait retrouver dans les archives des images des uniformes pour le déterminer.
Cette photographie a presque cent ans, la mémoire de ces temps furieux sÕšenfuit. Leur calvaire aussi. De ce 18 juin 1915, dans la famille de ma compagne, il ne reste plus que cette image : un instant de détente, au front, entre deux offensives. A bavarder, plaisanter, se taquiner… pour échapper à la peur. Cinq au moins des photographiés ont une ou deux marguerites accrochées à leurs uniformes. La vie sÕšimmisce toujours partout… et devant un appareil photographique – à cette époque – on sourit tout le temps – on souhaite àªtre beau, bien mis, élégant, paraître au mieux de sa forme… Les photographies envoyées ensuite aux familles sous la forme de cartes postales… pour les rassurer... Me souviens dÕšavoir lu des lettres de Giono à sa famille, il lui racontait une tout autre réalité que celle quÕšil vivait.
De ses sept hommes, un seul a été identifié : le deuxième debout, en partant de la droite. Il sÕšappelait Camille H. Il est revenu de cette guerre. Je ne sais pas pour les autres. Il est revenu, lui. Et selon le grand-père de ma compagne, après la guerre, il a acquis une « drà´le  » de réputation : celle dÕšun grand coureur de jupons. C՚était son fils qui le disait, et qui lÕša dit à sa petite fille. Je nÕšai pas envie dÕšinterpréter cette légende familiale concernant lÕšarrière grand-père de ma compagne qui mÕša permis de la raconter. CÕšest une légende familiale, vraie ou pas.je me pose une question : y a-t-il un rapport quelconque entre cette « drà´le  » de guerre et cette « drà´le  » de réputation ? Un sursaut de vitalité après quatre années passé en enfer. Images et réputations ne sont quÕšune manière de voir la réalité…
Ce que je peux juste dire en regardant cette photographie centenaire, cÕšest dÕšavoir eu la chance jusqu՚à présent de nÕšavoir pas vécu ce que ces sept hommes ont vécu. Au dos de cette carte postale, dans une encre violette, est écrit : souvenir de ton frère Le 18 juin 1915. Jules.

Bien à toi,

Silence… respectueux…

Voir en ligne : la liste des vases communicants de mars

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