Mais il y a folkloristes et folkloristes. J’en ai vu de singuliers, quelques-uns d’effarants.On se fait un folklore à  sa convenance. On attend des fées. On part à  leur rencontre, le bà ¢ton du pèlerin à  la main. Elles ne viennent pas, elles ne répondent pas, et le bon peuple, sommé de dire où elles sont, ne sait pas ce qu’on lui veut. Plus de fées ni de croyance aux fées ! Alors on gémit sur leur disparition, sur le paysan lourdaud, sur la mort de toute poésie, sur le progrès responsable, sur la science, l’usine, la simple charrue...
Ou bien, non moins pathétiquement, on jure que les fées sont toujours là  , que le peuple n’a pas cessé d’y croire, que sa croyance se transmet de génération en génération, que les vieux n’ont rien de mieux à  faire, le soir, à  la veillée, qu’à  instruire les jeunes de belles histoires d’autrefois... Les deux thèmes sont également agréables à  développer. O littérature !
Mais surviennent, avec leurs chaînes d’arpenteur, leurs décimètres, leurs éprouvettes, leurs réactifs, ceux qui ne se paient pas de mots, les amis de l’exactitude, les spécialistes de la précision. Ils mesurent, ils évaluent à  un millimètre près la largeur et la longueur du perron de Barenton, ils analysent l’eau de la fontaine, ils donnent un air d’authenticité aux rà ªveries et aux conjectures.
Et le touriste contresigne le tout, pour poétiser ses vacances.
(...)
Vais-je passer, moi aussi, pour un ennemi des fées ? J’en serais le premier en peine.
(...)
Il y a certes, un merveilleux breton, dont peuvent donner une idée certaines des Gwerziou recueillies par Luzel, et dont vous trouverez dÕšabondants exemples dans les deux volumes de La Légende de la Mort d’Anatole Le Braz. Tout Breton qui a passé son enfance au village a connu ce merveilleux-là  , l’a redouté, l’a désiré, s’est pelotonné le soir contre la jupe de sa mère en écoutant d’une oreille avide des récits faits d’une voix tremblante, a vu, la nuit, des paysans peu craintifs, des pà ªcheurs héroà ¯ques prendre peureusement une lanterne, au départ, pour exorciser les ténèbres. Que craignaient-ils au juste ? Des enchanteurs ? Des fées ? Des lutins ?
Lutins, lavandières, vieilles étiquettes périmées, noms enfantins donnés par l’ignorance aux fantà ´mes de nos terreurs nocturnes. Ce qui subsiste, c’est ceci : une atmosphère, des heures, des lieux qui agissent sur certaines parties obscures et dormantes de nous-mà ªmes, les révèlent et les réveillent, si l’on peut dire. l’à ¢me se trouve tout à  coup en état de réceptivité mystique. C’est dans la solitude. C’est le soir, heure de l’agonie quotidienne, où, suivant la parole du Dante, Le glas semble pleurer le jour près de mourir, lÕšheure où les choses se déforment, prennent des tons et comme une signification qu’on ne leur connaissait pas. Ce qui se passe ensuite varie avec chacun de nous et reste, en tout état de cause, trop imprécis pour pouvoir à ªtre rendu dans le strict langage de l’analyse. Il faut recourir à  l’analogie, aux images.
Charles Le Goffic, Brocéliande
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