Le propre de la langue, non seulement en regard de la parole, mais encore dans la parole mĂ ÂŞme, se caractĂ©rise par un excès de sens qui ruine l’obtention de sens. L’errance polysĂ©mique et polytropique, l’accumulation excessive des significations, la plĂ©thore d’idĂ©es, d’injonctions ambivalentes, de comprĂ©hensions incertaines est le premier contact avec la langue (que rĂ©pare le dictionnaire dans le cas des langues Ă©crites) et la première expĂ©rience de la parole (le malentendu que cherche Ă Â corriger les mimes du corps). Cet excès de sens est la possibilitĂ© du sens : il fonde le choix, le mensonge, la recherche, le non-sensĂ© et la signification comme relation. Jamais dĂ©finitive, jamais limitĂ©e, jamais Ă©gale, jamais objective, jamais univoque, c’est ainsi que la langue ne cesse de faire irruption en nous. Ce sont ces caractères qui laissent dans la bouche, quand on parle trop, le goĂ Â »t extrĂ ÂŞmement fade de ce qui n’est pas saisissable et de ce qui ne sera jamais retenu. La langue procure au monde en mĂ ÂŞme temps le sens, l’excès de sens, le dĂ©faut de sens, et l’appĂ©tit de sens.
Pascal Quignard, Petits traitĂ©s I, « La gorge Ă©gorgĂ©e »
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