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je me souviens

je me souviens | compilation 3

je me souviens de l’expression avoir le cul bordé de nouilles — je n’aimais pas
cette expression | de Nobiron le coiffeur — des sièges verts avec un rehausseur — mes jambes ballant au-dessus du repose-pied — bien dégagé au-dessus des oreilles selon le vœu de mon père | de la vitrine du coutelier jouxtant le salon de coiffure — làque mon père m’a acheté mon premier couteau, à6 ou 7 ans | de Joe qui croyait que tous les petits Français recevaient un couteau àcet âge-là— devoir lui expliquer la survivance de traditions paysannes | d’un quartier de Cholet qui s’appelait les Câlins — et qui a été démoli | que beaucoup savaient jouer la mélodie de Jeux interdits sur la chanterelle de la guitare | des odeurs de gomme et d’huile quand aller aux courses de côte avec mon frère |de la voiture qui passait avec un drapeau àdamier blanc et noir pour signifier la réouverture de la route àla circulation — on apprend la portée symbolique où on peut | de cette élève qui m’avait annoncé avoir fugué de chez ses parents | de l’avoir revue quelques années plus tard, une nuit en rentrant de Paris — elle tenait la caisse d’une station-service sur une aire d’autoroute près d’Orléans | du bruit de la dynamo sur le pneu du vélo | de mon père poussant son Solex en bord de nationale quand il partait àl’usine | du bruit du couvercle de la poubelle, où il vomissait son petit-déjeuner chaque matin avant d’aller àl’usine | des wagons fumeurs dans les trains | de ma grand-mère qui perdait la mémoire | qu’elle récitait la prière des morts en tournant autour de la table de la salle àmanger | d’en avoir fait un enregistrement sur mon magnétophone, pour que mes parents puissent le faire écouter àson médecin | d’avoir eu faim et soif au-dessus de Cassis | du chien qui m’a mordu et fait tomber de vélo | du gars qui l’a maîtrisé, comment il lui maintenait la gueule plaquée au sol | des premières stabulations dans les fermes | de la balance romaine au grenier quand mon père allait acheter du blé pour les poules chez un de ses cousins | des cuisinières àbois ou àcharbon | assise àcôté de l’une d’elles, d’une femme en noir, aveugle | des pin’s en forme de canne blanche vendus àla sortie de la
messe | des plans de ville et d’une carte de la rĂ©gion dans le calendrier des Postes | de la dernière scène du Dernier des Mohicans | je me souviens Ă propos d’un moteur de voiture qui ne tournait pas rond : Il ratatouille | et de Il tourne sur trois pattes, ou Il bat la mayonnaise | Ă l’adolescence, d’avoir pris l’habitude de rĂ©pondre quand on m’interrogeait sur mon futur mĂ©tier : clochard ! | d’une fille qui croyait qu’on apprenait Ă Ă©crire en fac de lettres | d’une prof d’anglais qui ne savait pas qui Ă©tait Muddy Waters | des vinyles qu’on amenait au lycĂ©e pour en Ă©tudier des chansons en cours d’anglais | du premier jour en seconde —j’étais passĂ© chercher un copain —son frère jumeau nous avait accompagnĂ© jusqu’àla porte du bahut : lui avait commencĂ© son apprentissage en imprimerie depuis un mois |des mercredi et samedi après-midis passĂ©s devant la tĂ©lĂ© — la saoulerie malsaine que c’était | de brancher le magnĂ©tophone sur une prise DIN Ă l’arrière de la tĂ©lĂ© pour enregistrer du rock | du premier vinyle que j’ai achetĂ©, un enregistrement live du groupe Ange, intitulĂ© Tome VI — aussi pompeux que son titre — le genre de truc que je ne peux plus Ă©couter aujourd’hui | du temps oĂą on disait que bientĂ´t on ne trouverait plus de platine pour les vinyles | de cuicui les canaris sont cuits Ă propos de l’équipe de foot de Nantes — je n’en ai pourtant jamais rien eu Ă faire | je me souviens aussi des verts de Saint-Étienne — et du nom de quelques joueurs, comme Michel Platini et Jean-Michel LarquĂ© | d’avoir regardĂ© les matchs du tournoi des 5 nations le samedi après-midi avec mon frère aĂ®nĂ©
— c’était comme essayer de combler le creux du temps | de ma grand-mère maternelle qui regardait la messe Ă la tĂ©lĂ© | de ma grand-mère paternelle, pendant l’annĂ©e qu’elle a passĂ© Ă la maison : elle aimait faire des pronostics pour le tiercĂ©, mais elle ne jouait jamais — elle regardait la retransmission de la course le dimanche après-midi, avec sur un bout de papier les numĂ©ros qu’elle avait notĂ©s — je crois que c’est LĂ©on Zitrone qui commentait la course | du samedi après-midi oĂą je l’ai vu tomber sur le carrelage de la salle Ă manger, silhouette fluette qui se dĂ©robe et crâne qui cogne au sol — la panique ressentie | de son cri quand on a emmenĂ© le corps de son mari — j’ai ouvert la porte de la salle Ă manger une fois que j’ai compris que les pompes funèbres avaient
franchi la porte d’entrée avec le cercueil — et je l’ai vue en chemise de nuit, ses très longs cheveux blancs défaits, descendant jusqu’aux fesses, déchirée de douleur et de larmes, dans les bras de sa sœur — je suis retourné appuyer mon front àla vitre de la fenêtre en attendant qu’on vienne me chercher — j’ai gardé le silence sur ce que j’avais vu et entendu

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