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traversée Balzac

Z. Marcas

OĂą d’emblĂ©e le nom :

Je n’ai jamais vu personne, en comprenant mĂŞme les hommes remarquables de ce temps, dont l’aspect fĂ »t plus saisissant que celui de cet homme ; l’étude de sa physionomie inspirait d’abord un sentiment plein de mĂ©lancolie, et finissait par donner une sensation presque douloureuse. Il existait une certaine harmonie entre la personne et le nom. Ce Z qui prĂ©cĂ©dait Marcas, qui se voyait sur l’adresse de ses lettres, et qu’il n’oubliait jamais dans sa signature, cette dernière lettre de l’alphabet offrait Ă l’esprit je ne sais quoi de fatal.

MARCAS ! RĂ©pĂ©tez-vous Ă vous-mĂŞme ce nom composĂ© de deux syllabes, n’y trouvez-vous pas une sinistre signifiance ? Ne vous semble-t-il pas que l’homme qui le porte doive ĂŞtre martyrisĂ© ? Quoique Ă©trange et sauvage, ce nom a pourtant le droit d’aller Ă la postĂ©ritĂ© ; il est bien composĂ©, il se prononce facilement, il a cette brièvetĂ© voulue pour les noms cĂ©lèbres. N’est-il pas aussi doux qu’il est bizarre ? mais aussi ne vous paraĂ®t-il pas inachevĂ© ? Je ne voudrais pas prendre sur moi d’affirmer que les noms n’exercent aucune influence sur la destinĂ©e. Entre les faits de la vie et le nom des hommes, il est de secrètes et d’inexplicables concordances ou des dĂ©saccords visibles qui surprennent ; souvent des corrĂ©lations lointaines, mais efficaces, s’y sont rĂ©vĂ©lĂ©es. Notre globe est plein, tout s’y tient. Peut-ĂŞtre reviendra-t-on quelque jour aux Sciences Occultes.

Ne voyez-vous pas dans la construction du Z une allure contrariĂ©e ? ne figure-t-elle pas le zigzag alĂ©atoire et fantasque d’une vie tourmentĂ©e ? Quel vent a soufflĂ© sur cette lettre qui, dans chaque langue oĂą elle est admise, commande Ă peine Ă cinquante mots ? Marcas s’appelait ZĂ©phirin. Saint ZĂ©phirin est très-vĂ©nĂ©rĂ© en Bretagne. Marcas Ă©tait Breton.
Examinez encore ce nom : Z. Marcas ! Toute la vie de l’homme est dans l’assemblage fantastique de ces sept lettres. Sept ! le plus significatif des nombres cabalistiques. L’homme est mort Ă trente-cinq ans, ainsi sa vie a Ă©tĂ© composĂ©e de sept lustres. Marcas ! N’avez-vous pas l’idĂ©e de quelque chose de prĂ©cieux qui se brise par une chute, avec ou sans bruit ?

OĂą l’ambition est contrariĂ©e :

La tĂŞte piriforme du fils d’un Ă©picier riche sera prĂ©fĂ©rĂ©e Ă la tĂŞte carrĂ©e d’un jeune homme de talent sans le sou. En s’évertuant, en dĂ©ployant toute son Ă©nergie, un jeune homme qui part de zĂ©ro peut se trouver, au bout de dix ans, au-dessous du point de dĂ©part. Aujourd’hui, le talent doit avoir le bonheur qui fait rĂ©ussir l’incapacitĂ© ; bien plus, s’il manque aux basses conditions qui donnent le succès Ă la rampante mĂ©diocritĂ©, il n’arrivera jamais.

Marcas, notre voisin, fut en quelque sorte le guide qui nous mena sur le bord du précipice ou du torrent, et qui nous le fit mesurer, qui nous montra par avance quelle serait notre destinée si nous nous y laissions choir. Ce fut lui qui nous mit en garde contre les atermoiements que l’on contracte avec la misère et que sanctionne l’espérance, en acceptant des positions précaires d’où l’on lutte, en se laissant aller au mouvement de Paris, cette grande courtisane qui vous prend et vous laisse, vous sourit et vous tourne le dos avec une égale facilité, qui use les plus grandes volontés en des attentes captieuses, et où l’Infortune est entretenue par le Hasard.

OĂą il est question d’un carnaval Ă Paris :

Puis vint le carnaval, ce carnaval parisien qui, désormais, effacera l’ancien carnaval de Venise, et qui dans quelques années attirera l’Europe àParis, si de malencontreux préfets de police ne s’y opposent.
OĂą le Sauvage dans la ville (et Cooper, bien entendu) :
Le silence et toute sa majestĂ© ne se trouvent que chez le Sauvage. Il n’est pas de criminel qui, pouvant laisser tomber ses secrets avec sa tĂŞte dans le panier rouge, n’éprouve le besoin purement social de les dire Ă quelqu’un. Je me trompe. Nous avons vu l’un des Iroquois du faubourg Saint-Marceau mettant la nature parisienne Ă la hauteur de la nature sauvage : un homme ; un rĂ©publicain, un conspirateur, un Français, un vieillard a surpassĂ© tout ce que nous connaissions de la fermetĂ© nègre, et tout ce que Cooper a prĂŞtĂ© aux Peaux rouges de dĂ©dain et de calme au milieu de leurs dĂ©faites. Morey, ce Guatimozin de la Montagne, a gardĂ© une attitude inouĂŻe dans les annales de la justice europĂ©enne.

OĂą la jeunesse peine Ă trouver sa place :

AoĂ »t 1830, rĂ©pondit Marcas d’un ton solennel en Ă©tendant la main vers Paris, AoĂ »t fait par la jeunesse qui a liĂ© la javelle, fait par l’intelligence qui avait mĂ »ri la moisson, a oubliĂ© la part de la jeunesse et de l’intelligence. La jeunesse Ă©clatera comme la chaudière d’une machine Ă vapeur. La jeunesse n’a pas d’issue en France, elle y amasse une avalanche de capacitĂ©s mĂ©connues, d’ambitions lĂ©gitimes et inquiètes, elle se marie peu, les familles ne savent que faire de leurs enfants ; quel sera le bruit qui Ă©branlera ces masses, je ne sais ; mais elles se prĂ©cipiteront dans l’état de choses actuel et le bouleverseront. Il est des lois de fluctuation qui rĂ©gissent les gĂ©nĂ©rations, et que l’empire romain avait mĂ©connues quand les barbares arrivèrent. Aujourd’hui, les barbares sont des intelligences. Les lois du trop-plein agissent en ce moment lentement, sourdement au milieu de nous. Le gouvernement est le grand coupable, il mĂ©connaĂ®t les deux puissances auxquelles il doit tout, il s’est laissĂ© lier les mains par les absurditĂ©s du contrat, il est tout prĂ©parĂ© comme une victime. Louis XIV, NapolĂ©on, l’Angleterre Ă©taient et sont avides de jeunesse intelligente. En France, la jeunesse est condamnĂ©e par la lĂ©galitĂ© nouvelle, par les conditions mauvaises du principe Ă©lectif, par les vices de la constitution ministĂ©rielle. En examinant la composition de la chambre Ă©lective, vous n’y trouvez point de dĂ©putĂ© de trente ans : la jeunesse de Richelieu et celle de Mazarin, la jeunesse de Turenne et celle de Colbert, la jeunesse de Pitt et celle de Saint-Just, celle de NapolĂ©on et celle du prince de Metternich n’y trouveraient point de place. Burke, ShĂ©ridan, Fox ne pourraient s’y asseoir. On aurait pu mettre la majoritĂ© politique Ă vingt et un ans et dĂ©grever l’éligibilitĂ© de toute espèce de condition, les dĂ©partements n’auraient Ă©lu que les dĂ©putĂ©s actuels, des gens sans aucun talent politique, incapables de parler sans estropier la grammaire, et parmi lesquels, en dix ans, il s’est Ă peine rencontrĂ© un homme d’État. On devine les motifs d’une circonstance Ă venir, mais on ne peut pas prĂ©voir la circonstance elle-mĂŞme. En ce moment, on pousse la jeunesse entière Ă se faire rĂ©publicaine, parce qu’elle voudra voir dans la rĂ©publique son Ă©mancipation. Elle se souviendra des jeunes reprĂ©sentants du peuple et des jeunes gĂ©nĂ©raux ! L’imprudence du gouvernement n’est comparable qu’àson avarice.

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