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traversée Balzac

Splendeurs et misères courtisanes

OĂą la sociĂ©tĂ©, comme l’enfer, se dĂ©coupe en cercles :

les différents cercles dont se compose la société parisienne se retrouvent, se reconnaissent et s’observent. Il y a des notions si précises pour quelques initiés, que ce grimoire d’intérêts est lisible comme un roman qui serait amusant.

OĂą toujours le nom :

Cher monsieur Chardon, dit le préfet de la Charente en prenant le dandy par le bras, je vous présente une personne qui veut renouer connaissance avec vous…
— Cher comte Châtelet, rĂ©pondit le jeune homme, cette personne m’a appris combien Ă©tait ridicule le nom que vous me donnez. Une Ordonnance du Roi m’a rendu celui de mes ancĂŞtres maternels, les RubemprĂ©. Quoique les journaux aient annoncĂ© ce fait, il concerne un si pauvre personnage que je ne rougis point de le rappeler Ă mes amis, Ă mes ennemis et aux indiffĂ©rents : vous vous classerez oĂą vous voudrez, mais je suis certain que vous ne dĂ©sapprouverez point une mesure qui me fut conseillĂ©e par votre femme quand elle n’était encore que madame de Bargeton.

Monsieur, dit-elle Ă Lucien d’un air pĂ©dant, veut-il nous apprendre le nom qu’il donne Ă madame ?
— Madame Van Bogseck, répondit l’Espagnol en retournant aussitôt le nom d’Esther.

C’est cher, car Clotilde est bien laide, dit la baronne en se donnant le genre d’appeler mademoiselle de Grandlieu par son petit nom, comme si elle, née Goriot, hantait cette société.

Que fera-t-il de sa sĹ“ur et de son beau-frère d’AngoulĂŞme ? demanda le chevalier d’Espard.
— Mais, répondit Rastignac, sa sœur est riche, et il l’appelle aujourd’hui madame Séchard de Marsac.

Cette soutane de prêtre espagnol cachait Jacques Collin, une des célébrités du bagne, et qui, dix ans auparavant, vivait sous le nom bourgeois de Vautrin dans la Maison Vauquer, où Rastignac et Bianchon se trouvèrent en pension. Jacques Collin, dit Trompe-la-Mort,

Ă€ vingt-trois ans, le jeune et brillant Ă©lève en droit avait dĂ©jĂ reniĂ© son père en Ă©crivant ainsi son nom sur ses cartes :

GEORGES D’ESTOURNY.

Montemiselle, rĂ©pondit le baron, ne s’abbelle blis Esder, digourt ; elle ha nom matame te Jamby (Champy), eine bedid pien que che lui ai agedé…

Eh ! monsieur le duc, je dois encore cinq cent mille francs sur ma terre.
— Eh ! bien, il faut Ă©pouser une fille qui vous les apporte ; mais vous trouverez difficilement, pour vous, un parti de cette fortune dans notre faubourg, oĂą l’on donne peu de dot aux filles.
— Mais elles ont assez de leur nom, répondit Lucien.

Le nom vrai, dit l’ancien ministre, est, je crois, Corentin… (un nom que tu ne dois pas avoir entendu), mais ce monsieur viendra chez toi bardé de son nom ministériel. Il se fait appeler monsieur de Saint-quelque chose…

Lucien de Rubempré vit, m’a dit monsieur le duc de Chaulieu, avec une juive convertie, qui se faisait passer pour Hollandaise, et nommée Esther Van-Bogseck.
— Quelle singulière coĂŻncidence ! dit l’avouĂ©, je cherche l’hĂ©ritière d’un Hollandais appelĂ© Gobseck, c’est le mĂŞme nom avec un changement de consonnes…

OĂą le fantastique d’Hoffmann :

En y passant pendant la journĂ©e, on ne peut se figurer ce que toutes ces rues deviennent Ă la nuit ; elles sont sillonnĂ©es par des ĂŞtres bizarres qui ne sont d’aucun monde ; des formes Ă demi nues et blanches meublent les murs, l’ombre est animĂ©e. Il se coule entre la muraille et le passant des toilettes qui marchent et qui parlent. Certaines portes entrebâillĂ©es se mettent Ă rire aux Ă©clats. Il tombe dans l’oreille de ces paroles que Rabelais prĂ©tend s’être gelĂ©es et qui fondent. Des ritournelles sortent d’entre les pavĂ©s. Le bruit n’est pas vague, il signifie quelque chose : quand il est rauque, c’est une voix ; mais s’il ressemble Ă un chant, il n’a plus rien d’humain, il approche du sifflement. Il part souvent des coups de sifflet. Enfin les talons de botte ont je ne sais quoi de provoquant et de moqueur. Cet ensemble de choses donne le vertige. Les conditions atmosphĂ©riques y sont changĂ©es : on y a chaud en hiver et froid en Ă©tĂ©. Mais, quelque temps qu’il fasse, cette nature Ă©trange offre toujours le mĂŞme spectacle : le monde fantastique d’Hoffmann le Berlinois est lĂ .

OĂą le double :

Contraint Ă vivre en dehors du monde oĂą la loi lui interdisait Ă jamais de rentrer, Ă©puisĂ© par le vice et par de furieuses, par de terribles rĂ©sistances, mais douĂ© d’une force d’âme qui le rongeait, ce personnage ignoble et grand, obscur et cĂ©lèbre, dĂ©vorĂ© surtout d’une fièvre de vie, revivait dans le corps Ă©lĂ©gant de Lucien dont l’âme Ă©tait devenue la sienne. Il se faisait reprĂ©senter dans la vie sociale par ce poète, auquel il donnait sa consistance et sa volontĂ© de fer. Pour lui, Lucien Ă©tait plus qu’un fils, plus qu’une femme aimĂ©e, plus qu’une famille, plus que sa vie, il Ă©tait sa vengeance ; aussi, comme les âmes fortes tiennent plus Ă un sentiment qu’àl’existence, se l’était-il attachĂ© par des liens indissolubles. Après avoir achetĂ© la vie de Lucien au moment oĂą ce poète au dĂ©sespoir faisait un pas vers le suicide, il lui avait proposĂ© l’un de ces pactes infernaux qui ne se voient que dans les romans, mais dont la possibilitĂ© terrible a souvent Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©e aux Assises par de cĂ©lèbres drames judiciaires. En prodiguant Ă Lucien toutes les joies de la vie parisienne, en lui prouvant qu’il pouvait se crĂ©er encore un bel avenir, il en avait fait sa chose. Aucun sacrifice ne coĂ »tait d’ailleurs Ă cet homme Ă©trange, dès qu’il s’agissait de son second lui-mĂŞme. Au milieu de sa force, il Ă©tait si faible contre les fantaisies de sa crĂ©ature qu’il avait fini par lui confier ses secrets. Peut-ĂŞtre fut-ce un lien de plus entre eux que cette complicitĂ© purement morale ?
Elle gardait en son cĹ“ur une image d’elle-mĂŞme qui tout Ă la fois la faisait rougir et dont elle se glorifiait, l’heure de son abdication Ă©tait toujours prĂ©sente Ă sa conscience ; aussi vivait-elle comme double, en prenant son personnage en pitiĂ©. Ses sarcasmes se ressentaient de la disposition intĂ©rieure oĂą la maintenait le profond mĂ©pris que l’ange d’amour, contenu dans la courtisane, portait Ă ce rĂ´le infâme et odieux jouĂ© par le corps en prĂ©sence de l’âme. Ă€ la fois le spectateur et l’acteur, le juge et le patient, elle rĂ©alisait l’admirable fiction des Contes Arabes, oĂą se trouve presque toujours un ĂŞtre sublime cachĂ© sous une enveloppe dĂ©gradĂ©e, et dont le type est, sous le nom de Nabuchodonosor, dans le livre des livres, la Bible.

L’ignoble forçat en matĂ©rialisant le poème caressĂ© par tant de poètes, par Moore, par lord Byron, par Mathurin, par Canalis (un dĂ©mon possĂ©dant un ange attirĂ© dans son enfer pour le rafraĂ®chir d’une rosĂ©e dĂ©robĂ©e au paradis), Jacques Collin, si l’on a bien pĂ©nĂ©trĂ© dans ce cĹ“ur de bronze, avait renoncĂ© Ă lui-mĂŞme depuis sept ans. Ses puissantes facultĂ©s, absorbĂ©es en Lucien, ne jouaient que pour Lucien ; il jouissait de ses progrès, de ses amours, de son ambition. Pour lui, Lucien Ă©tait son âme visible.

OĂą la mĂ©tamorphose :

Jacques Collin se fit des blessures au dos pour effacer les fatales lettres, et changea son visage àl’aide de réactifs chimiques. En se métamorphosant ainsi devant le cadavre du prêtre avant de l’anéantir, il put se donner quelque ressemblance avec son Sosie. Pour achever cette transmutation presque aussi merveilleuse que celle dont il est question dans ce conte arabe où le derviche a conquis le pouvoir d’entrer, lui vieux, dans un jeune corps par des paroles magiques, le forçat, qui parlait espagnol, apprit autant de latin qu’un prêtre andalou devait en savoir.

Pouvons-nous parler ici sans crainte d’être entendus ? dit l’Espagnol mĂ©tamorphosĂ© subitement en Anglais Ă cheveux rouges, Ă lunettes bleues, aussi propre, aussi net qu’un puritain allant au PrĂŞche.

OĂą savoir respecter la classification qu’on s’impose :

Ce n’est ici ni le lieu ni l’occasion d’entrer dans des dĂ©tails Ă ce sujet, car les Scènes de la Vie Parisienne ne sont pas les Scènes de la Vie Politique ; et il suffit de faire apercevoir quels Ă©taient les moyens d’existence de celui qu’on appelait le bonhomme CanquoĂ« lle au cafĂ© David, par quels fils il se rattachait au pouvoir terrible et mystĂ©rieux de la Police.

OĂą regarder Paris au moment des choix :

Au moment de quitter la maison du Garde, il amena Lucien et la pauvre courtisane au bord d’un chemin désert, àun endroit d’où l’on voyait Paris, et où personne ne pouvait les entendre. Tous trois ils s’assirent au soleil levant, sous un tronçon de peuplier abattu devant ce paysage, un des plus magnifiques du monde, et qui embrasse le cours de la Seine, Montmartre, Paris, Saint-Denis.

OĂą des destins sous les fripes :

Làtrônait Asie entre les plus belles parures arrivées àcette phase horrible où les robes ne sont plus des robes et ne sont pas encore des haillons. Le cadre était en harmonie avec la figure que cette femme se composait, car ces boutiques sont une des plus sinistres particularités de Paris. On y voit des défroques que la Mort y a jetées de sa main décharnée, et on entend alors le râle d’une phtisie sous un châle, comme on y devine l’agonie de la misère sous une robe lamée d’or. Les atroces débats entre le Luxe et la Faim sont écrits làsur de légères dentelles. On y retrouve la physionomie d’une reine sous un turban àplumes dont la pose rappelle et rétablit presque la figure absente.
OĂą usant des ficelles du feuilleton il s’agit de prendre les devants :
Prudence, qui comprit instinctivement, en gros si vous voulez, son danger, quitta Valenciennes, et vint Ă dix-sept ans Ă Paris pour s’y cacher. Elle y fit quatre mĂ©tiers, dont le meilleur fut celui de comparse Ă un petit théâtre. Elle fut rencontrĂ©e par Paccard, Ă qui elle raconta ses malheurs. Paccard, le bras droit, le SĂ©ide de Jacques Collin, parla de Prudence Ă son maĂ®tre ; et quand le maĂ®tre eut besoin d’une esclave, il dit Ă Prudence : « Si tu veux me servir comme on doit servir le diable, je te dĂ©barrasserai de Durut.  » Durut Ă©tait le forçat, l’épĂ©e de Damoclès suspendue au-dessus de la tĂŞte de Prudence Servien. Sans ces dĂ©tails, beaucoup de critiques auraient trouvĂ© l’attachement d’Europe un peu fantastique. Enfin personne n’aurait compris le coup de théâtre que Carlos allait produire.

OĂą la comĂ©die chez les bourgeois :

La Charte a proclamĂ© le règne de l’argent, le succès devient alors la raison suprĂŞme d’une Ă©poque athĂ©e. Aussi la corruption des sphères Ă©levĂ©es, malgrĂ© des rĂ©sultats Ă©blouissants d’or et leurs raisons spĂ©cieuses, est-elle infiniment plus hideuse que les corruptions ignobles et quasi personnelles des sphères infĂ©rieures, dont quelques dĂ©tails servent de comique, terrible si vous voulez, Ă cette Scène. Les ministères, que toute pensĂ©e effraie, ont banni du théâtre les Ă©lĂ©ments du comique actuel. La Bourgeoisie, moins libĂ©rale que Louis XIV, tremble de voir venir son Mariage de Figaro, dĂ©fend de jouer le Tartuffe politique, et, certes, ne laisserait pas jouer Turcaret aujourd’hui, car Turcaret est devenu le souverain. Dès lors, la comĂ©die se raconte et le Livre devient l’arme moins rapide, mais plus sĂ »re, des poètes.

OĂą une note de police :

Le secrĂ©taire Ă©tait revenu muni d’une note sur Peyrade, la copie du sommaire Ă©crit sur le dossier :

Dans la police depuis 1778, et venu d’Avignon àParis, deux ans auparavant.
Sans fortune et sans moralité, dépositaire de secrets d’État.
DomiciliĂ© rue des Moineaux, sous le nom de CanquoĂ« lle, nom du petit bien sur lequel vit sa famille, dans le dĂ©partement de Vaucluse, famille honorable d’ailleurs.
A été demandé récemment par un de ses petits-neveux, nommé Théodose de la Peyrade.
(Voir le rapport d’un agent, n° 37 des pièces)

OĂą se justifie la transcription d’un accent :

Aussi peut-on facilement croire qu’elle n’écoutait pas du tout le baron, qui tenait entre ses deux mains une main de son anche, en lui parlant dans son patois de juif polonais, dont les singulières désinences ne doivent pas donner moins de mal àceux qui les lisent qu’àceux qui les entendent.

Mais pas de tous :

Il faut faire observer ici que Jacques Collin parlait le français comme une vache espagnole, en baragouinant de manière àrendre ses réponses presque inintelligibles et às’en faire demander la répétition. Les germanismes de monsieur de Nucingen ont déjàtrop émaillé cette Scène pour y mettre d’autres phrases soulignées difficiles àlire, et qui nuiraient àla rapidité d’un dénouement.

OĂą user d’un clichĂ© romanesque :

L’auberge de Mansle, appelĂ©e la Belle Étoile, avait pour maĂ®tre un de ces gras et gros hommes qu’on a peur de ne pas retrouver au retour, et qui sont encore, dix ans après, sur le seuil de leur porte, avec la mĂŞme quantitĂ© de chair, le mĂŞme bonnet de coton, le mĂŞme tablier, le mĂŞme couteau, les mĂŞmes cheveux gras, le mĂŞme triple menton, et qui sont stĂ©rĂ©otypĂ©s chez tous les romanciers, depuis l’immortel Cervantès jusqu’àl’immortel Walter Scott. Ne sont-ils pas tous pleins de prĂ©tentions en cuisine, n’ont-ils pas tous tout Ă vous servir et ne finissent-ils pas tous par vous donner un poulet Ă©tique et des lĂ©gumes accommodĂ©s avec du beurre fort ? Tous vous vantent leurs vins fins, et vous forcent Ă consommer les vins du pays.

OĂą l’hĂ©ritage Cooper :

Ainsi, la poésie de terreur que les stratagèmes des tribus ennemies en guerre répandent au sein des forêts de l’Amérique, et dont a tant profité Cooper, s’attachait aux plus petits détails de la vie parisienne. Les passants, les boutiques, les fiacres, une personne debout àune croisée, tout offrait aux Hommes-Numéros àqui la défense de la vie du vieux Peyrade était confiée, l’intérêt énorme que présentent dans les romans de Cooper un tronc d’arbre, une habitation de castors, un rocher, la peau d’un bison, un canot immobile, un feuillage àfleur d’eau.

OĂą l’écriture, si faible :

Ces magistrats sont comme les peintres, ils ont besoin de la lumière Ă©gale et pure qui vient du Nord, car le visage de leurs criminels est un tableau dont l’étude doit ĂŞtre constante. Aussi, presque tous les juges d’instruction placent-ils leurs bureaux comme Ă©tait celui de Camusot, de manière Ă tourner le dos au jour, et consĂ©quemment Ă laisser la face de ceux qu’ils interrogent exposĂ©e Ă la lumière. Pas un d’eux, au bout de six mois d’exercice, ne manque Ă prendre un air distrait, indiffĂ©rent, quand il ne porte pas de lunettes, tant que dure un interrogatoire. C’est Ă un subit changement de visage, observĂ© par ce moyen et causĂ© par une question faite Ă brĂ »le-pourpoint, que fut due la dĂ©couverte du crime commis par Castaing, au moment oĂą, après une longue dĂ©libĂ©ration avec le procureur-gĂ©nĂ©ral, le juge allait rendre ce criminel Ă la sociĂ©tĂ©, faute de preuves. Ce petit dĂ©tail peut indiquer aux gens les moins comprĂ©hensifs combien est vive, intĂ©ressante, curieuse, dramatique et terrible la lutte d’une instruction criminelle, lutte sans tĂ©moins, mais toujours Ă©crite. Dieu sait ce qui reste sur le papier de la scène la plus glacialement ardente, oĂą les yeux, l’accent, un tressaillement dans la face, la plus lĂ©gère touche de coloris ajoutĂ©e par un sentiment, tout a Ă©tĂ© pĂ©rilleux comme entre Sauvages qui s’observent pour se dĂ©couvrir et se tuer. Un procès-verbal, ce n’est donc plus que les cendres de l’incendie.

OĂą une longue digression sur l’argot :

Donc, avant tout un mot sur la langue des grecs, des filous, des voleurs et des assassins, nommĂ©e l’argot, et que la littĂ©rature a, dans ces derniers temps, employĂ©e avec tant de succès, que plus d’un mot de cet Ă©trange vocabulaire a passĂ© sur les lèvres roses des jeunes femmes, a retenti sous les lambris dorĂ©s, a rĂ©joui les princes, dont plus d’un a pu s’avouer flouĂ© ! Disons-le, peut-ĂŞtre Ă l’étonnement de beaucoup de gens, il n’est pas de langue plus Ă©nergique, plus colorĂ©e que celle de ce monde souterrain qui, depuis l’origine des empires Ă capitale, s’agite dans les caves, dans les sentines, dans le troisième-dessous des sociĂ©tĂ©s, pour emprunter Ă l’art dramatique une expression vive et saisissante. Le monde n’est-il pas un théâtre ? Le Troisième-Dessous est la dernière cave pratiquĂ©e sous les planches de l’OpĂ©ra, pour en recĂ©ler les machines, les machinistes, la rampe, les apparitions, les diables bleus que vomit l’enfer, etc.

OĂą n’avoir que la prose :

La poĂ©sie s’est emparĂ©e de ce sujet social, Ă©minemment propre Ă frapper les imaginations, le CondamnĂ© Ă mort ! La poĂ©sie a Ă©tĂ© sublime, la prose n’a d’autre ressource que le rĂ©el, mais le rĂ©el est assez terrible comme il est pour pouvoir lutter avec le lyrisme. La vie du condamnĂ© Ă mort qui n’a pas avouĂ© ses crimes ou ses complices est livrĂ©e Ă d’affreuses tortures. Il ne s’agit ici ni de brodequins qui brisent les pieds, ni d’eau ingurgitĂ©e dans l’estomac, ni de la distension des membres au moyen d’affreuses machines ; mais d’une torture sournoise et pour ainsi dire nĂ©gative. Le Parquet livre le condamnĂ© tout Ă lui-mĂŞme, il le laisse dans le silence et dans les tĂ©nèbres, avec un compagnon (un mouton) dont il doit se dĂ©fier.

OĂą Vautrin, colonne vertĂ©brale :

Il est impossible de faire une longue digression au dénouement d’une scène déjàsi étendue et qui n’offre pas d’autre intérêt que celui dont est entouré Jacques Collin, espèce de colonne vertébrale qui, par son horrible influence, relie pour ainsi dire le père Goriot àillusions perdues, et illusions perdues àcette étude.

OĂą le mystère de la chambre jaune :

Ni la grille de la cour, ni la porte d’entrée de la maison ne portaient de traces d’effraction. La clef se trouvait dans la serrure de la porte d’entrée, àl’intérieur. Pas un barreau de fer n’avait été forcé. Les serrures, les volets, toutes les fermetures étaient intactes.

Les murailles ne prĂ©sentaient aucune trace qui pĂ »t dĂ©voiler le passage des malfaiteurs. Les cheminĂ©es en poterie n’offrant pas d’issue praticable, n’avaient pu permettre de s’introduire par cette voie. Les faĂ®teaux, sains et entiers, n’accusaient d’ailleurs aucune violence. (…) Les palissades d’enceinte du jardin furent examinĂ©es, rien n’y Ă©tait brisĂ©. Dans le jardin, les allĂ©es n’offraient aucun vestige de passage. Il parut probable au juge d’instruction que l’assassin avait marchĂ© sur l’herbe pour ne pas laisser l’empreinte de ses pas, s’il s’était introduit par lĂ , mais comment avait-il pu pĂ©nĂ©trer dans la maison ? Du cĂ´tĂ© du jardin, la porte avait une imposte garnie de trois barreaux de fer intacts. De ce cĂ´tĂ©, la clef se trouvait Ă©galement dans la serrure, comme Ă la porte d’entrĂ©e du cĂ´tĂ© de la cour.

OĂą ne plus savoir oĂą commence et oĂą s’arrĂŞte la fiction :

Une des obligations auxquelles ne doit jamais manquer l’historien des mœurs, c’est de ne point gâter le vrai par des arrangements en apparence dramatiques, surtout quand le vrai a pris la peine de devenir romanesque. La nature sociale, àParis surtout, comporte de tels hasards, des enchevêtrements de conjectures si capricieuses, que l’imagination des inventeurs est àtout moment dépassée. La hardiesse du vrai s’élève àdes combinaisons interdites àl’art, tant elles sont invraisemblables ou peu décentes, àmoins que l’écrivain ne les adoucisse, ne les émonde, ne les châtre.

OĂą de nouveau Rastignac au cimetière :

Dans les enterrements, àParis, àmoins de circonstances extraordinaires, ou dans les cas assez rares de quelque célébrité décédée naturellement, la foule venue àl’église diminue àmesure qu’on s’avance vers le Père-Lachaise. On a du temps pour une démonstration àl’église, mais chacun a ses affaires et y retourne au plus tôt. Aussi, des dix voitures de deuil, n’y en eut-il pas quatre de pleines. Quand le convoi atteignit au Père-Lachaise, la suite ne se composait que d’une douzaine de personnes, parmi lesquelles se trouvait Rastignac.
— C’est bien de lui être fidèle, dit Jacques Collin àson ancienne connaissance.
Rastignac fit un mouvement de surprise en trouvant lĂ Vautrin.
— Soyez calme, lui dit l’ancien pensionnaire de madame Vauquer, vous avez en moi un esclave, par cela seul que je vous trouve ici. Mon appui n’est pas Ă dĂ©daigner, je suis ou je serai plus puissant que jamais. Vous avez filĂ© votre câble, vous avez Ă©tĂ© très adroit ; mais vous aurez peut-ĂŞtre besoin de moi, je vous servirai toujours.

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