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traversée Balzac

L’interdiction

OĂą, encore et toujours, la femme de trente ans :

Quand les tempes d’une femme sont attendries, rayĂ©es, fanĂ©es d’une certaine façon ; quand au bout de son nez il se trouve de ces petits points qui ressemblent aux imperceptibles parcelles noires que font pleuvoir Ă Londres les cheminĂ©es oĂą l’on brĂ »le du charbon de terre ! votre serviteur ! la femme a passĂ© trente ans. Elle sera belle, elle sera spirituelle, elle sera aimante, elle sera tout ce que tu voudras ; mais elle aura passĂ© trente ans, mais elle arrive Ă sa maturitĂ©.

OĂą les rĂ©cits entrent en rĂ©sonance :

J’ai Ă©tĂ© rouĂ©, mon cher, dans l’affaire de monsieur de Nucingen, je te raconterai cette histoire-lĂ . J’ai mariĂ© mes sĹ“urs, voilĂ le plus clair de ce que j’ai gagnĂ© depuis que nous nous sommes vus, et j’aime mieux les avoir Ă©tablies que de possĂ©der cent mille Ă©cus de rente. Maintenant que veux-tu que je devienne ? J’ai de l’ambition. OĂą peut me mener madame de Nucingen ?

Tu m’effraies, Bianchon ! tu as donc appris bien des choses depuis notre sĂ©jour Ă la Maison-Vauquer ?
— Oui, depuis ce temps-lĂ , mon cher, j’en ai vu, des marionnettes, des poupĂ©es et des pantins !

Nous avons commencĂ© par voir bien des graviers, bien des saletĂ©s sous le flot du monde, quand nous Ă©tions Ă©chouĂ©s sur le roc de la Maison-Vauquer ; ce que nous y avons vu n’était rien. Depuis que je vais dans la haute sociĂ©tĂ©, j’ai rencontrĂ© des monstruositĂ©s habillĂ©es de satin, des Michonneau en gants blancs, des Poiret chamarrĂ©s de cordons, des grands seigneurs faisant mieux l’usure que le papa Gobseck !

Peut-ĂŞtre cette demande en interdiction cache-t-elle quelque petit dramorama, pour nous rappeler par un mot notre mauvais bon temps.

OĂą parvenir par les femmes :

Suppose Mahomet Ă Paris, au dix-neuvième siècle ! sa femme serait une Rohan, fine et flatteuse comme une ambassadrice, rusĂ©e comme figaro. Ta femme aimante ne mène Ă rien, une femme du monde mène Ă tout, elle est le diamant avec lequel un homme coupe toutes les vitres, quand il n’a pas la clef d’or avec laquelle s’ouvrent toutes les portes. Aux bourgeois les vertus bourgeoises, aux ambitieux les vices de l’ambition.

OĂą Bianchon, rĂ©volutionnaire, honnĂŞte :

Allons, ne sois pas vulgaire, fais comme ton ami Desplein : sois baron, sois chevalier de l’ordre de Saint-Michel, deviens pair de France, et marie tes filles Ă des ducs.
— Moi, je veux que les cinq cent mille diables…
— LĂ , lĂ , tu n’as donc de supĂ©rioritĂ© qu’en mĂ©decine ; vraiment tu me fais beaucoup de peine.
— Je hais ces sortes de gens, je souhaite une révolution qui nous en délivre àjamais.

Pauvre Bianchon ! ce ne sera jamais qu’un honnĂŞte homme, se dit Rastignac en voyant le fiacre s’éloigner.

OĂą une façade :

Comme dans toutes les maisons bâties avant l’invention des voitures, la baie de la porte forme une arcade extrĂŞmement basse, assez semblable au porche d’une prison. Ă€ droite de cette porte, sont trois croisĂ©es revĂŞtues extĂ©rieurement de grilles en fer Ă mailles si serrĂ©es qu’il est impossible aux curieux de voir la destination intĂ©rieure des pièces humides et sombres, tant d’ailleurs les vitres sont sales et poudreuses ; Ă gauche sont deux autres croisĂ©es semblables dont une parfois ouverte permet d’apercevoir le portier, sa femme et ses enfants grouillant, travaillant, cuisinant, mangeant et criant au milieu d’une salle planchĂ©iĂ©e, boisĂ©e oĂą tout tombe en lambeaux et oĂą l’on descend par deux marches, profondeur qui semble indiquer le progressif exhaussement du pavĂ© parisien.

OĂą l’obsession de la noblesse :

Pour croire au sang pur, Ă une race privilĂ©giĂ©e, pour se mettre par la pensĂ©e au-dessus des autres hommes, ne faut-il pas, dès sa naissance, avoir mesurĂ© l’espace qui sĂ©pare les patriciens du peuple ? Pour commander, ne faut-il pas ne point avoir connu d’égaux ? Ne faut-il pas enfin que l’éducation inculque les idĂ©es que la nature inspire aux grands hommes Ă qui elle a mis une couronne au front avant que leur mère n’y puisse mettre un baiser ? Ces idĂ©es et cette Ă©ducation ne sont plus possibles en France, oĂą depuis quarante ans le hasard s’est arrogĂ© le droit de faire des nobles en les trempant dans le sang des batailles, en les dorant de gloire, en les couronnant de l’aurĂ©ole du gĂ©nie ; oĂą l’abolition des substitutions et des majorats, en Ă©miettant les hĂ©ritages, force le noble Ă s’occuper de ses affaires au lieu de s’occuper des affaires de l’État, et oĂą la grandeur personnelle ne peut plus ĂŞtre qu’une grandeur acquise après de longs et patients travaux : ère toute nouvelle.

OĂą les Chinois :

L’abbĂ© Grozier possĂ©dait des connaissances profondes sur la Chine, sur ses mĹ“urs et ses coutumes ; il m’avait fait son hĂ©ritier Ă un âge oĂą il est difficile qu’on ne se fanatise pas pour ce que l’on apprend. Ă€ vingt-cinq ans je savais le chinois, et j’avoue que je n’ai jamais pu me dĂ©fendre d’une admiration exclusive pour ce peuple, qui a conquis ses conquĂ©rants, dont les annales remontent incontestablement Ă une Ă©poque beaucoup plus reculĂ©e que ne le sont les temps mythologiques ou bibliques ; qui, par ses institutions immuables, a conservĂ© l’intĂ©gritĂ© de son territoire, dont les monuments sont gigantesques, dont l’administration est parfaite, chez lequel les rĂ©volutions sont impossibles, qui a jugĂ© le beau idĂ©al comme un principe d’art infĂ©cond, qui a poussĂ© le luxe et l’industrie Ă un si haut degrĂ© que nous ne pouvons le surpasser en aucun point, tandis qu’il nous Ă©gale lĂ oĂą nous nous croyons supĂ©rieurs.

OĂą les fortunes ne sont pas sans taches :

Si les gens qui possèdent des biens confisqués de quelque manière que ce soit, même par des manœuvres perfides, étaient, après cent cinquante ans, obligés àdes restitutions, il se trouverait en France peu de propriétés légitimes.

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