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traversée Balzac

Sarrasine

OĂą tout commence par une fenĂŞtre, axe par lequel rendre poreux mondanitĂ© et fantastique :

Assis dans l’embrasure d’une fenĂŞtre, et cachĂ© sous les plis onduleux d’un rideau de moire, je pouvais contempler Ă mon aise le jardin de l’hĂ´tel oĂą je passais la soirĂ©e. Les arbres, imparfaitement couverts de neige, se dĂ©tachaient faiblement du fond grisâtre que formait un ciel nuageux, Ă peine blanchi par la lune. Vus au sein de cette atmosphère fantastique, ils ressemblaient vaguement Ă des spectres mal enveloppĂ©s de leurs linceuls, image gigantesque de la fameuse Danse des morts. Puis, en me retournant de l’autre cĂ´tĂ©, je pouvais admirer la danse des vivants ! un salon splendide, aux parois d’argent et d’or, aux lustres Ă©tincelants, brillant de bougies.

Ainsi Ă ma droite la sombre et silencieuse image de la mort ; Ă ma gauche, les dĂ©centes bacchanales de la vie : ici, la nature froide, morne, en deuil ; lĂ , les hommes en joie. Moi, sur la frontière de ces deux tableaux si disparates, qui, mille fois rĂ©pĂ©tĂ©s de diverses manières, rendent Paris la ville la plus amusante du monde et la plus philosophique, je faisais une macĂ©doine morale, moitiĂ© plaisante, moitiĂ© funèbre. Du pied gauche je marquais la mesure, et je croyais avoir l’autre dans un cercueil. Ma jambe Ă©tait en effet glacĂ©e par un de ces vents coulis qui vous gèlent une moitiĂ© du corps tandis que l’autre Ă©prouve la chaleur moite des salons, accident assez frĂ©quent au bal.

OĂą l’argent règne (et crĂ©e un Ă©quivoque social) :

LĂ , les Ă©cus mĂŞme tachĂ©s de sang ou de boue ne trahissent rien et reprĂ©sentent tout. Pourvu que la haute sociĂ©tĂ© sache le chiffre de votre fortune, vous ĂŞtes classĂ© parmi les sommes qui vous sont Ă©gales, et personne ne vous demande Ă voir vos parchemins, parce que tout le monde sait combien peu ils coĂ »tent. Dans une ville oĂą les problèmes sociaux se rĂ©solvent par des Ă©quations algĂ©briques, les aventuriers ont en leur faveur d’excellentes chances.

OĂą s’inscrire dans les traces de Radcliffe :

Mais, par malheur, l’histoire énigmatique de la maison Lanty offrait un perpétuel intérêt de curiosité, assez semblable àcelui des romans d’Anne Radcliffe.

OĂą la sociĂ©tĂ© est Ă©prise de fantastique (tandis que le narrateur a la tĂŞte sur les Ă©paules) :

Bientôt l’exagération naturelle aux gens de la haute société fit naître et accumuler les idées les plus plaisantes, les expressions les plus bizarres, les contes les plus ridicules sur ce personnage mystérieux. Sans être précisément un vampire, une goule, un homme artificiel, une espèce de Faust ou de Robin des bois, il participait, au dire des gens amis du fantastique, de toutes ces natures anthropomorphes. Il se rencontrait çàet làdes Allemands qui prenaient pour des réalités ces railleries ingénieuses de la médisance parisienne. L’étranger était simplement un vieillard.

OĂą glisser du masculin au fĂ©minin, de la vie Ă la mort :

mais ce qui contribuait le plus àdonner l’apparence d’une création artificielle au spectre survenu devant nous, était le rouge et le blanc dont il reluisait. Les sourcils de son masque recevaient de la lumière un lustre qui révélait une peinture très-bien exécutée. Heureusement pour la vue attristée de tant de ruines, son crâne cadavéreux était caché sous une perruque blonde dont les boucles innombrables trahissaient une prétention extraordinaire. Du reste, la coquetterie féminine de ce personnage fantasmagorique était assez énergiquement annoncée par les boucles d’or qui pendaient àses oreilles, par les anneaux dont les admirables pierreries brillaient àses doigts ossifiés, et par une chaîne de montre qui scintillait comme les chatons d’une rivière au cou d’une femme. Enfin, cette espèce d’idole japonaise conservait sur ses lèvres bleuâtres un rire fixe et arrêté, un rire implacable et goguenard, comme celui d’une tête de mort. Silencieuse, immobile autant qu’une statue, elle exhalait l’odeur musquée des vieilles robes que les héritiers d’une duchesse exhument de ses tiroirs pendant un inventaire.

Voir, auprès de ces dĂ©bris humains, une jeune femme dont le cou, les bras et le corsage Ă©taient nus et blancs ; dont les formes pleines et verdoyantes de beautĂ©, dont les cheveux bien plantĂ©s sur un front d’albâtre inspiraient l’amour, dont les yeux ne recevaient pas, mais rĂ©pandaient la lumière, qui Ă©tait suave, fraĂ®che, et dont les boucles vaporeuses, dont l’haleine embaumĂ©e semblaient trop lourdes, trop dures, trop puissantes pour cette ombre, pour cet homme en poussière ; ah ! c’était bien la mort et la vie, ma pensĂ©e, une arabesque imaginaire, une chimère hideuse Ă moitiĂ©, divinement femelle par le corsage.

— Il y a pourtant de ces mariages-làqui s’accomplissent assez souvent dans le monde, me dis-je.

— Il sent le cimetière, s’écria la jeune femme Ă©pouvantĂ©e qui me pressa comme pour s’assurer de ma protection, et dont les mouvements tumultueux me dirent qu’elle avait grand’peur. — C’est une horrible vision, reprit-elle, je ne saurais rester lĂ plus long-temps. Si je le regarde encore, je croirai que la mort elle-mĂŞme est venue me chercher. Mais vit-il ?

Si je n’étais pas une femme ? demanda timidement la Zambinella d’une voix argentine et douce. — La bonne plaisanterie ! s’écria Sarrasine. Crois-tu pouvoir tromper l’œil d’un artiste ?

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