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traversée Balzac

La duchesse de Langeais

OĂą le jeu d’un orgue dĂ©voile la nationalitĂ© de l’interprète :

Enfin, au Te Deum, il fut impossible de ne pas reconnaĂ®tre une âme française dans le caractère que prit soudain la musique. Le triomphe du Roi Très-ChrĂ©tien excitait Ă©videmment la joie la plus vive au fond du cĹ“ur de cette religieuse. Certes elle Ă©tait Française. BientĂ´t le sentiment de la patrie Ă©clata, jaillit comme une gerbe de lumière dans une rĂ©plique des orgues oĂą la sĹ“ur introduisit des motifs qui respirèrent toute la dĂ©licatesse du goĂ »t parisien, et auxquels se mĂŞlèrent vaguement les pensĂ©es de nos plus beaux airs nationaux. Des mains espagnoles n’eussent pas mis, Ă ce gracieux hommage fait aux armes victorieuses, la chaleur qui acheva de dĂ©celer l’origine de la musicienne.

OĂą le nom, encore :

Ma sainte mère ne parle que le latin et l’espagnol, ajouta-t-elle.

— Je ne sais ni l’un ni l’autre. Ma chère Antoinette, excusez-moi près d’elle.

En entendant son nom doucement prononcé par un homme naguère si dur pour elle, la religieuse éprouva une vive émotion intérieure que trahirent les légers tremblements de son voile, sur lequel la lumière tombait en plein.

— Mon frère, dit-elle en portant sa manche sous son voile pour s’essuyer les yeux peut-être, je me nomme la sœur Thérèse…

HĂ© ! bien, Antoinette, s’écria le gĂ©nĂ©ral en l’interrompant Ă ces mots, faites que je vous voie, vous que j’aime maintenant avec ivresse, Ă©perdĂ »ment, comme vous avez voulu ĂŞtre aimĂ©e par moi.

— Ne m’appelez pas Antoinette, je vous en supplie. Les souvenirs du passé me font mal. Ne voyez ici que la sœur Thérèse, une créature confiante en la miséricorde divine.

Elle (...) se mettait orgueilleusement au-dessus du monde, Ă l’abri de son nom.

Pendant une semaine environ, madame de Langeais espĂ©ra revoir le marquis de Montriveau ; mais Armand se contenta d’envoyer tous les matins sa carte Ă l’hĂ´tel de Langeais. Chaque fois que cette carte Ă©tait remise Ă la duchesse, elle ne pouvait s’empĂŞcher de tressaillir, frappĂ©e par de sinistres pensĂ©es, mais indistinctes comme l’est un pressentiment de malheur. En lisant ce nom, tantĂ´t elle croyait sentir dans ses cheveux la main puissante de cet homme implacable, tantĂ´t ce nom lui pronostiquait des vengeances que son mobile esprit lui faisait atroces.

Le lendemain, la carte lui semblait couverte de sang. Elle vivait agitée par ce nom, plus qu’elle ne l’avait été par l’amant fougueux, opiniâtre, exigeant.

Madame, dit Armand en voulant la relever, Antoinette ne peut plus sauver la duchesse de Langeais. Je ne crois plus ni àl’une ni àl’autre.

Quel est votre avis, Armand ?

— Il n’y a plus d’Armand, madame la duchesse. Nous sommes étrangers l’un àl’autre.

OĂą Balzac Ă©voque Paris et ses changements (et oĂą le banquier habite lĂ oĂą auparavant l’aristocrate) :

Les grands seigneurs et les gens riches, qui singeront toujours les grands seigneurs, ont, Ă toutes les Ă©poques, Ă©loignĂ© leurs maisons des endroits très habitĂ©s. Si le duc d’Uzès se bâtit, sous le règne de Louis XIV, le bel hĂ´tel Ă la porte duquel il mit la fontaine de la rue Montmartre, acte de bienfaisance qui le rendit, outre ses vertus, l’objet d’une vĂ©nĂ©rations si populaire que le quartier suivit en masse son convoi, ce coin de Paris Ă©tait alors dĂ©sert. Mais aussitĂ´t que les fortifications s’abattirent, que les marais situĂ©s au delĂ des boulevards s’emplirent de maisons, la famille d’Uzès quitta ce bel hĂ´tel, habitĂ© de nos jours par un banquier. Puis la noblesse, compromise au milieu des boutiques, abandonna la place Royale, les alentours du centre parisien, et passa la rivière afin de pouvoir respirer Ă son aise dans le faubourg Saint-Germain, oĂą dĂ©jĂ des palais s’étaient Ă©levĂ©s autour de l’hĂ´tel bâti par Louis XIV au duc du Maine, le Benjamin de ses lĂ©gitimĂ©s. Pour les gens accoutumĂ©s aux splendeurs de la vie, est-il en effet rien de plus ignoble que le tumulte, la boue, les cris, la mauvaise odeur, l’étroitesse des rues populeuses ?

OĂą Balzac s’en prend Ă l’Ă©galitĂ©... :

Partout, lorsque vous rassemblerez des familles d’inĂ©gale fortune sur un espace donnĂ©, vous verrez se former des cercles supĂ©rieurs, des patriciens, des première, seconde et troisième sociĂ©tĂ©s. L’égalitĂ© sera peut-ĂŞtre un droit, mais aucune puissance humaine ne saura le convertir en fait. Il serait bien utile pour le bonheur de la France d’y populariser cette pensĂ©e. Aux masses les moins intelligentes se rĂ©vèlent encore les bienfaits de l’harmonie politique. L’harmonie la poĂ©sie de l’ordre, et les peuples ont un vif besoin d’ordre. La concordance des choses entre elles, l’unitĂ©, pour tout dire en un mot, n’est-elle pas la plus simple expression de l’ordre ? L’Architecture, la musique, la poĂ©sie, tout dans la France s’appuie, plus qu’en aucun autre pays, sur ce principe, qui d’ailleurs est Ă©crit au fond de son clair et pur langage, et la langue sera toujours la plus infaillible formule d’une nation. Aussi, voyez-vous le peuple y adoptant les airs les plus poĂ©tiques, les mieux modulĂ©s ; s’attachant aux idĂ©es les plus simples ; aimant les motifs incisifs qui contiennent le plus de pensĂ©es. La France est le seul pays oĂą quelque petite phrase puisse faire une grande rĂ©volution. Les masses ne s’y sont jamais rĂ©voltĂ©es que pour essayer de mettre d’accord les hommes, les choses et les principes. Or, nulle autre nation ne sent mieux la pensĂ©e d’unitĂ© qui doit exister dans la vie aristocratique, peut-ĂŞtre parce que nulle autre n’a mieux compris les nĂ©cessitĂ©s politiques : l’histoire ne la trouvera jamais en arrière. La France est souvent trompĂ©e, mais comme une femme l’est, par des idĂ©es gĂ©nĂ©reuses, par des sentiments chaleureux dont la portĂ©e Ă©chappe d’abord au calcul.

... et exprime son point de vue sur le peuple :

Les peuples, comme les femmes, aiment la force en quiconque les gouverne, et leur amour ne va pas sans le respect ; ils n’accordent point leur obĂ©issance Ă qui ne l’impose pas. Une aristocratie mĂ©sestimĂ©e est comme un roi fainĂ©ant, un mari en jupon ; elle est nulle avant de n’être rien.

OĂą les temps changent :

L’art, la science et l’argent forment le triangle social où s’inscrit l’écu du pouvoir, et d’où doit procéder la moderne aristocratie. Un beau théorème vaut un grand nom. Les Fugger modernes sont princes de fait. Un grand artiste est réellement un oligarque, il représente tout un siècle, et devient presque toujours une loi. Ainsi, le talent de la parole, les machines àhaute pression de l’écrivain, le génie du poète, la constance du commerçant, la volonté de l’homme d’état qui concentre en lui mille qualités éblouissantes, le glaive du général, ces conquêtes personnelles faites par un seul sur toute la société pour lui imposer, la classe aristocratique doit s’efforcer d’en avoir aujourd’hui le monopole, comme jadis elle avait celui de la force matérielle.

OĂą l’œuvre balzacienne est, jusque dans les principes et forces qu’elle met en scène, miroir de l’Histoire :

Ce qui est vrai dans la comédie historique des siècles est également vrai dans la sphère plus étroite des scènes partielles du drame national appelé les Mœurs.

OĂą il est fait allusion Ă l’exploration de l’Afrique :

le gĂ©nĂ©ral Montriveau s’embarqua dans le dessein d’explorer la Haute-Égypte et les parties inconnues de l’Afrique, les contrĂ©es du centre surtout, qui excitent aujourd’hui tant d’intĂ©rĂŞt parmi les savants. Son expĂ©dition scientifique fut longue et malheureuse. Il avait recueilli des notes prĂ©cieuses destinĂ©es Ă rĂ©soudre les problèmes gĂ©ographiques ou industriels si ardemment cherchĂ©s, et il Ă©tait parvenu, non sans avoir surmontĂ© bien des obstacles, jusqu’au cĹ“ur de l’Afrique, lorsqu’il tomba par trahison au pouvoir d’une tribu sauvage. Il fut dĂ©pouillĂ© de tout, mis en esclavage et promenĂ© pendant deux annĂ©es Ă travers les dĂ©serts, menacĂ© de mort Ă tout moment et plus maltraitĂ© que ne l’est un animal dont s’amusent d’impitoyables enfants. Sa force de corps et sa constance d’âme lui firent supporter toutes les horreurs de sa captivitĂ© ; mais il Ă©puisa presque toute son Ă©nergie dans son Ă©vasion, qui fut miraculeuse. Il atteignit la colonie française du SĂ©nĂ©gal, demi-mort, en haillons, et n’ayant plus que d’informes souvenirs. Les immenses sacrifices de son voyage, l’étude des dialectes de l’Afrique, ses dĂ©couvertes et ses observations, tout fut perdu. Un seul fait fera comprendre ses souffrances. Pendant quelques jours les enfants du scheik de la tribu dont il Ă©tait l’esclave s’amusaient Ă prendre sa tĂŞte pour but dans un jeu qui consistait Ă jeter loin des osselets de cheval, et Ă les y faire tenir.

OĂą marcher le long des quais :

Il suivit les quais, afin de voir le plus grand espace possible de ciel

OĂą personne n’est Ă©pargnĂ© :

Ă€ mesure que l’on monte en haut de la sociĂ©tĂ©, il s’y trouve autant de boue qu’il y en a par le bas ; seulement elle s’y durcit et se dore. Oui, pour rencontrer la perfection dans l’ignoble, il faut une belle Ă©ducation, un grand nom, une jolie femme, une duchesse. Pour tomber au-dessous de tout, il fallait ĂŞtre au-dessus de tout.

Pour empĂŞcher les critiques de taxer de puĂ©rilitĂ© le commencement de la scène suivante, peut-ĂŞtre est-il nĂ©cessaire de faire observer ici que Locke se trouvant dans la compagnie de seigneurs anglais renommĂ©s pour leur esprit, distinguĂ©s autant par leurs manières que par leur consistance politique, s’amusa mĂ©chamment Ă stĂ©nographier leur conversation par un procĂ©dĂ© particulier, et les fit Ă©clater de rire en la leur lisant, afin de savoir d’eux ce qu’on en pouvait tirer. En effet, les classes Ă©levĂ©es ont en tout pays un jargon de clinquant qui, lavĂ© dans les cendres littĂ©raires ou philosophiques, donne infiniment peu d’or au creuset. Ă€ tous les Ă©tages de la sociĂ©tĂ©, sauf quelques salons parisiens, l’observateur retrouve les mĂŞmes ridicules que diffĂ©rencient seulement la transparence ou l’épaisseur du vernis. Ainsi, les conversations substantielles sont l’exception sociale, et le bĂ©otianisme dĂ©fraie habituellement les diverses zones du monde. Si forcĂ©ment on parle beaucoup dans les hautes sphères, on y pense peu. Penser est une fatigue, et les riches aiment Ă voir couler la vie sans grand effort. Aussi est-ce en comparant le fond des plaisanteries par Ă©chelons, depuis le gamin de Paris jusqu’au pair de France, que l’observateur comprend le mot de monsieur de Talleyrand : Les manières sont tout, traduction Ă©lĂ©gante de cet axiome judiciaire : La forme emporte le fond. Aux yeux du poète, l’avantage restera aux classes infĂ©rieures qui ne manquent jamais Ă donner un rude cachet de poĂ©sie Ă leurs pensĂ©es. Cette observation fera peut-ĂŞtre aussi comprendre l’infertilitĂ© des salons, leur vide, leur peu de profondeur, et la rĂ©pugnance que les gens supĂ©rieurs Ă©prouvent Ă faire le mĂ©chant commerce d’y Ă©changer leurs pensĂ©es.

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