OĂą Balzac Ă©voque l’absence d’amour maternel :
Elle ne voyait dans la vie que des devoirs Ă remplir ; toutes les femmes froides que j’ai rencontrĂ©es se faisaient comme elle une religion du devoir ; elle recevait nos adorations comme un prĂŞtre reçoit l’encens Ă la messe ; mon frère aĂ®nĂ© semblait avoir absorbĂ© le peu de maternitĂ© qu’elle avait au cĹ“ur. Elle nous piquait sans cesse par les traits d’une ironie mordante, l’arme des gens sans cĹ“ur, et de laquelle elle se servait contre nous qui ne pouvions lui rien rĂ©pondre. MalgrĂ© ces barrières Ă©pineuses, les sentiments instinctifs tiennent par tant de racines, la religieuse terreur inspirĂ©e par une mère de laquelle il coĂ »te trop de dĂ©sespĂ©rer conserve tant de liens, que la sublime erreur de notre amour se continua jusqu’au jour oĂą, plus avancĂ©s dans la vie, elle fut souverainement jugĂ©e. En ce jour commencent les reprĂ©sailles des enfants dont l’indiffĂ©rence engendrĂ©e par les dĂ©ceptions du passĂ©, grossie des Ă©paves limoneuses qu’ils en ramènent, s’étend jusque sur la tombe.
Où la femme est associée au lieu :
Là se découvre une vallée qui commence à Montbazon, finit à la Loire, et semble bondir sous les châteaux posés sur ces doubles collines ; une magnifique coupe d’émeraude au fond de laquelle l’Indre se roule par des mouvements de serpent. A cet aspect, je fus saisi d’un étonnement voluptueux que l’ennui des landes ou la fatigue du chemin avait préparé. — Si cette femme, la fleur de son sexe, habite un lieu dans le monde, ce lieu, le voici ? A cette pensée je m’appuyai contre un noyer sous lequel, depuis ce jour, je me repose toutes les fois que je reviens dans ma chère vallée. Sous cet arbre confident de mes pensées, je m’interroge sur les changements que j’ai subis pendant le temps qui s’est écoulé depuis le dernier jour où j’en suis parti. Elle demeurait là , mon cœur ne me trompait point : le premier castel que je vis au penchant d’une lande était son habitation.
OĂą Balzac a sa petite idĂ©e sur l’Ă©ducation :
L’éducation moderne est fatale aux enfants, reprit le comte. Nous les bourrons de mathématiques, nous les tuons à coups de science, et les usons avant le temps. Il faut vous reposer ici, me dit-il, vous êtes écrasé sous l’avalanche d’idées qui a roulé sur vous. Quel siècle nous prépare cet enseignement mis à la portée de tous, si l’on ne prévient le mal en rendant l’instruction publique aux corporations religieuses !
OĂą le nom, toujours :
Par le nom, monsieur de Mortsauf était un parti sortable pour leur fille. Loin de s’opposer à son mariage avec un homme âgé de trente-cinq ans, maladif et vieilli, mademoiselle de Lenoncourt en parut heureuse.
Écoutez ! je voudrais de vous un nom qui ne fĂ »t Ă personne, comme doit ĂŞtre le sentiment que nous nous vouons.
C’est beaucoup, dit-elle, mais je suis moins petite que vous ne le croyez. Monsieur de Mortsauf m’appelle Blanche. Une seule personne au monde, celle que j’ai le plus aimée, mon adorable tante me nommait Henriette. Je redeviendrai donc Henriette pour vous.
OĂą Don Quichotte fait son apparition :
Belle fut cette nuit passée sous ses fenêtres, au milieu du murmure des eaux passant à travers les vannes des moulins, et entrecoupé par la voix des heures sonnées au clocher de Saché ! Pendant cette nuit baignée de lumière où cette fleur sidérale m’éclaira la vie, je lui fiançai mon âme avec la foi du pauvre chevalier castillan de qui nous nous moquons dans Cervantès, et par laquelle nous commençons l’amour.
OĂą la famille n’a rien de rĂ©jouissant :
Quoique les familles enterrent soigneusement ces intolérables dissidences, pénétrez-y ? vous trouverez dans presque toutes des plaies profondes, incurables qui diminuent les sentiments naturels : ou c’est des passions réelles, attendrissantes, que la convenance des caractères rend éternelles et qui donnent à la mort un contre-coup dont les noires meurtrissures sont ineffaçables ; ou des haines latentes qui glacent lentement le cœur et sèchent les larmes au jour des adieux éternels.
Où sont évoqués quelques couples de La Comédie humaine :
Quelle singulière et mordante puissance est celle qui perpétuellement jette au fou un ange, à l’homme d’amour sincère et poétique une femme mauvaise, au petit la grande, à ce magot une belle et sublime créature ; à la noble Juana de Mancini le capitaine Diard, de qui vous avez su l’histoire à Bordeaux ; à madame de Beauséant un d’Ajuda, à madame d’Aiglemont son mari, au marquis d’Espard sa femme ?
OĂą il s’agit, quand mĂŞme, d’Ă©tudier les mĹ“urs :
J’ignore si les sociétés sont d’origine divine ou si elles sont inventées par l’homme, j’ignore également en quel sens elles se meuvent ; ce qui me semble certain, leur existence ; dès que vous les acceptez au lieu de vivre à l’écart, vous devez en tenir les conditions constitutives pour bonnes ; entre elles et vous, demain il se signera comme un contrat. La société d’aujourd’hui se sert-elle plus de l’homme qu’elle ne lui profite ? je le crois ; mais que l’homme y trouve plus de charges que de bénéfices, ou qu’il achète trop chèrement les avantages qu’il en recueille, ces questions regardent les législateurs et non l’individu. Selon moi, vous devez donc obéir en toute chose à la loi générale, sans la discuter, qu’elle blesse ou flatte votre intérêt. Quelque simple que puisse vous paraître ce principe, il est difficile en ses applications ; il est comme une sève qui doit s’infiltrer dans les moindres tuyaux capillaires pour vivifier l’arbre, lui conserver sa verdure, développer ses fleurs, et bonifier ses fruits si magnifiquement qu’il excite une admiration générale. Cher, les lois ne sont pas toutes écrites dans un livre, les mœurs aussi créent dès lois, les plus importantes sont les moins connues ; il n’est ni professeurs, ni traités, ni école pour ce droit qui régit vos actions, vos discours, votre vie extérieure, la manière de vous présenter au monde ou d’aborder la fortune. Faillir à ces lois secrètes, c’est rester au fond de l’état social au lieu de le dominer.
et oĂą le discours de Vautrin n’est jamais bien loin :
Expliquer la sociĂ©tĂ© par la thĂ©orie du bonheur individuel pris avec adresse aux dĂ©pens de tous, est une doctrine fatale dont les dĂ©ductions sĂ©vères amènent l’homme Ă croire que tout ce qu’il s’attribue secrètement sans que la loi, le monde ou l’individu s’aperçoivent d’une lĂ©sion, est bien ou dĂ »ment acquis. D’après cette charte, le voleur habile est absous, la femme qui manque Ă ses devoirs sans qu’on en sache rien est heureuse et sage ; tuez un homme sans que la justice en ait une seule preuve, si vous conquĂ©rez ainsi quelque diadème Ă la Macbeth, vous avez bien agi ; votre intĂ©rĂŞt devient une loi suprĂŞme, la question consiste Ă tourner, sans tĂ©moins ni preuves, les difficultĂ©s que les mĹ“urs et les lois mettent entre vous et vos satisfactions. A qui voit ainsi la sociĂ©tĂ©, le problème que constitue une fortune Ă faire, mon ami, se rĂ©duit Ă jouer une partie dont les enjeux sont un million ou le bagne, une position politique ou le dĂ©shonneur.
OĂą le lecteur apprend que les Anglais veulent des condiments enflammĂ©s pour rĂ©veiller leur goĂ »t
Où il existe tant de manières de tuer :
Quelle faiblesse et quelle impuissance dans la justice humaine ! elle ne venge que les actes patents. Pourquoi la mort et la honte au meurtrier qui tue d’un coup, qui vous surprend gĂ©nĂ©reusement dans le sommeil et vous endort pour toujours, ou qui frappe Ă l’improviste, en vous Ă©vitant l’agonie ? Pourquoi la vie heureuse, pourquoi l’estime au meurtrier qui verse goutte Ă goutte le fiel dans l’âme et mine le corps pour le dĂ©truire ? Combien de meurtriers impunis ! Quelle complaisance pour le vice Ă©lĂ©gant ! quel acquittement pour l’homicide causĂ© par les persĂ©cutions morales ! Je ne sais quelle main vengeresse leva tout Ă coup le rideau peint qui couvre la sociĂ©tĂ©. Je vis plusieurs de ces victimes qui vous sont aussi connues qu’à moi : madame de BeausĂ©ant partie mourante en Normandie quelques jours avant mon dĂ©part ! La duchesse de Langeais compromise ! Lady Brandon arrivĂ©e en Touraine pour y mourir dans cette humble maison oĂą lady Dudley Ă©tait restĂ©e deux semaines, et tuĂ©e, par quel horrible dĂ©noĂ »ment ? vous le savez ! Notre Ă©poque est fertile en Ă©vĂ©nements de ce genre. Qui n’a connu cette pauvre jeune femme qui s’est empoisonnĂ©e, vaincue par la jalousie qui tuait peut-ĂŞtre madame de Mortsauf ? Qui n’a frĂ©mi du destin de cette dĂ©licieuse jeune fille qui, semblable Ă une fleur piquĂ©e par un taon, a dĂ©pĂ©ri en deux ans de mariage, victime de sa pudique ignorance, victime d’un misĂ©rable auquel Ronquerolles, Montriveau, de Marsay donnent la main parce qu’il sert leurs projets politiques ? Qui n’a palpitĂ© au rĂ©cit des derniers moments de cette femme qu’aucune prière n’a pu flĂ©chir et qui n’a jamais voulu revoir son mari après en avoir si noblement payĂ© les dettes ? Madame d’Aiglemont n’a-t-elle pas vu la tombe de bien près, et sans les soins de mon frère vivrait-elle ? Le monde et la science sont complices de ces crimes pour lesquels il n’est point de Cour d’Assises. Il semble que personne ne meure de chagrin, ni de dĂ©sespoir, ni d’amour, ni de misères cachĂ©es, ni d’espĂ©rances cultivĂ©es sans fruit, incessamment replantĂ©es et dĂ©racinĂ©es. La nomenclature nouvelle a des mots ingĂ©nieux pour tout expliquer : la gastrite, la pĂ©ricardite, les mille maladies de femme dont les noms se disent Ă l’oreille, servent de passe-port aux cercueils escortĂ©s de larmes hypocrites que la main du notaire a bientĂ´t essuyĂ©es. Y a-t-il au fond de ce malheur quelque loi que nous ne connaissons pas ? Le centenaire doit-il impitoyablement joncher le terrain de morts, et le dessĂ©cher autour de lui pour s’élever, de mĂŞme que le millionnaire s’assimile les efforts d’une multitude de petites industries ? Y a-t-il une forte vie venimeuse qui se repaĂ®t des crĂ©atures douces et tendres ?
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